Le biocentrisme et le rapport à l'animal

Intervention par Jean-Claude Hubert aux Estivales 2005, le jeudi 11 août matin.

Résumé de l'intervention

Jean-Claude Hubert, né en 1939, marié, deux enfants, deux petits enfants. Profession : professeur de Français puis Principal de Collège. Mandat d'élu: premier adjoint au maire dans une commune rurale de 3500 habitants. Écologie: sympathisant depuis la campagne de René Dumont, adhésion au MEI en 1994, adhésion à la CVN depuis sa création. Engagé pour une écologie non scotchée à la bipolarisation de la vie politique.

Le rapport à l'animal se manifeste par différentes pratiques: chasse, tauromachie, vivisection...

Ces pratiques sont aujourd'hui remises en causes. Toute pratique s'inscrit dans une culture. C'est donc la culture théocentrique et anthropocentrique (humanisme) qui est en question.

Au nom de quoi?

Au nom d'une nouvelle culture, au nom d'un nouveau mode de pensée émergent: le biocentrisme.

La CVN, «Convention Vie et Nature pour une écologie radicale», est actuellement le seul mouvement écologiste français se réclamant du biocentrisme. La CVN est le seul mouvement écologiste qui fasse de l'abolition de la chasse, de la tauromachie et de la vivisection un combat emblématique.

http://www.ecologie-radicale.org/

Enregistrement audio

À télécharger en mp3 : partie 1 (durée 56:03) et partie 2 (durée 1:32:16).
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Commentaire de David Olivier

Jean-Claude Hubert est arrivé le matin même et est reparti rapidement après. Le dialogue, me semble-t-il, n'a pas vraiment été réussi. Il semblait très préoccupé par des questions de civilisation et de numérologie, c'est pas mon truc et je ne savais pas trop quoi lui dire.

Texte de l'intervention

Avant de commencer mon intervention proprement dite sur «le biocentrisme et le nouveau rapport à l'animal», il m'apparaît, pour une bonne compréhension de l'exposé, nécessaire de me présenter.

Au-delà de l'aspect civil: Jean-Claude Hubert, né en 1939, marié, deux enfants, deux petits fils,

Au-delà de l'aspect professionnel: professeur de français puis Principal de collège,

Au-delà de l'aspect électif: adjoint au Maire d'une commune rurale de 3500 hab. pendant 13 ans,

Au-delà de l'aspect militant: sympathisant des Verts dès les débuts de l'écologie politique puis adhérent du Mouvement Écologique Indépendant [MEI] et enfin adhérent de la CVN [Convention, Vie et Nature pour une écologie radicale] dès sa création,

Au-delà de tous ces aspects il me paraît important de vous faire part de quelques souvenirs d'enfance et d'adolescence, quelques souvenirs qui permettent de mieux comprendre pourquoi je suis là, aujourd'hui, devant vous. Ces souvenirs ont nourri mes prises de conscience ultérieures sur l'évolution de la société dans laquelle je grandissais.

Le premier souvenir est celui du caractère essentiellement féminin de l'environnement de mon enfance tant au niveau familial que scolaire. Ma première vision sociétale a été celle d'une présence féminine qui montait en puissance dans la société d'après guerre.

Le second est constitué de petits faits qui m'ont laissé pressentir plus tard l'inéluctable déclin de la civilisation rurale. Mes parents s'étaient installés à Cesson Sévigné, une petite commune rurale à 5 km de Rennes en Ille et Vilaine. Cette commune compte, aujourd'hui plus de 15 000 hab. À l'époque y vivait une vieille comtesse, et, lorsque cette vieille comtesse entrait dans un magasin, la marchande interrompait tout pour aller la servir en priorité. Son personnel ne marchait jamais à ses côtés mais toujours plusieurs mètres derrière... Ces marques de déférence disparurent avec elle.

À l'époque aussi, aux portes des cafés, aux murs des églises étaient encore fixés des anneaux qui permettaient d'attacher le cheval attelé au cabriolet ou à la calèche... Les anneaux disparurent parce que les «chevaux moteurs» étaient désormais omniprésents. Ces bruyants chevaux moteurs s'étaient substitués aux chevaux «crottin».

Le souvenir le plus cruel est certainement le dualisme qui divisait les bandes de copains. En Bretagne, plus qu'ailleurs apparemment, l'enseignement se divisait en écoles publiques et en écoles privées. J'allais à l'école publique mais comme pratiquement tous les enfants de l'époque je participais aux séances de catéchisme et assistais à la messe du dimanche. C'est au cours d'un de ces offices que j'entendis le prêtre affirmer dans son prêche que l'école publique était l'école du Diable!

Admis à l'École Normale pour la formation des instituteurs on apostrophait les prêtres en les traitant de «corbeaux». Ils portaient tous encore la soutane noire. On leur jetait aussi des anathèmes comme «À bas la calotte» en référence au petit bonnet rond noir ou rouge suivant qu'il couvre la tête d'un prêtre ou d'un cardinal.

Curieusement, je me sentais aussi éloigné des uns que des autres. Je ne me sentais ni croyant ni humaniste. Diable et Dieu, Bien et Mal, vrai et faux, pour et contre: le dualisme m'apparut comme le processus culturel le plus destructeur et le plus répandu sur la planète.

On comprend mieux pourquoi je me suis engagé, un demi-siècle plus tard, pour une écologie non scotchée à la bipolarisation de la vie politique. On comprend peut-être mieux aussi pourquoi j'ai accueilli, avec une certaine délivrance, une véritable révolution globale des mentalités: la révolution du Vivant, celle du biocentrisme.

Je suis heureux maintenant de vous présenter la CVN, Convention, Vie et Nature pour une écologie radicale.

La CVN est un concept inédit. Elle est à la fois une association de protection de la Nature, un club de pensée politique au service de l'écologie éthique, fondamentale ou radicale et un mouvement d'abolition de la chasse et de la corrida. Il faut reconnaître que nous ne sommes pas le seul mouvement pour l'abolition de la chasse et de la corrida: il y a le RAC [le Rassemblement Anti Chasse] et le CRAC [le Comité Radicalement Anti Corrida] dont le président Jean Pierre Garrigues est venu, en 2003, je crois, faire une conférence dans ces Estivales. Il faut souligner que des membres du RAC et du CRAC mais également de nombreuses autres associations sont aussi membres de la CVN. Jean-Pierre Garrigues, que je viens de citer, est, par exemple, vice président de la CVN.

La CVN définit un certain nombre de prolongements et de ruptures.

La CVN reconnaît un aspect «prolongements»: La pensée écologiste, estime-t-elle, ne s'identifie pas sur un néant, sur la négation – ou l'opposition – de ce que les humains ont pensé depuis des millénaires. La CVN ne renonce pas aux acquis tels que la liberté, les droits de l'homme, la solidarité sociale... Ces avancées de la sensibilité, de la compréhension et de la compassion sont des acquis qui participent à l'évolution culturelle des sociétés. Évolution qui n'est pas sans rappeler, d'ailleurs, l'évolution biologique de la Vie sur Terre.

Mais la CVN exprime aussi un aspect «ruptures»: La CVN dénonce les dogmes, les postulats et les principes premiers des modes de pensée théocentrique et anthropocentrique dans leurs corollaires de progrès égoïstes, scientifiques, technologiques et matérialistes. Elle dénonce aussi leurs corollaires de croissance économique et d'excroissance démographique.

La CVN affirme avec force la responsabilité de l'être humain au sein de la communauté du vivant. L'être humain est un membre de la communauté du vivant. Il est de sa responsabilité de la respecter...de la respecter et de la faire respecter. Selon la belle formule de notre président Gérard Charollois: «Nous sommes responsables parce que le monde est à notre merci.» Cette responsabilité s'exerce dans la réconciliation de l'homme avec la Nature, avec la biodiversité car seule cette harmonie protégera l'arbre, l'animal et l'homme lui-même.

Les termes «réconcilier» et «réconciliation» sont très importants. La charte de la CVN affirme: «L'être humain doit se réconcilier avec la Nature et développer les qualités lui permettant de vivre en harmonie tant avec ses semblables qu'avec les autres êtres vivants, dans le respect de la diversité biologique.»

En effet, ce qui fonde le droit au respect d'autrui ne tient ni au sexe, ni à l'espèce, ni à la race, la nation ou la religion mais à la capacité de partager avec nous le bien-être et la souffrance.

C'est pour la CVN la nécessité de reconnaître une éthique du Vivant et les droits du Vivant avec le refus total et définitif de toute discrimination...y compris, bien sûr, celle à l'égard de l'animal!

Oui, nous sommes radicaux mais non sectaires, intègres mais non intégristes, ardemment amoureux de la Nature mais non fanatiques.

Oui, nous contestons globalement la société contemporaine pour y promouvoir un changement fondamental.

Quelle stratégie pour y parvenir?

Pour parvenir à ce changement fondamental, un dialogue respectueux et constructif s'impose avec les forces sociales, morales et politiques qui ne nient pas, qui ne refusent pas, a priori, la prévalence, la primauté du Vivant. En revanche, de manière forte et claire, nous condamnons les ennemis de la Terre, nous condamnons ceux qui tuent, ceux qui polluent, ceux qui bétonnent, ceux qui asphaltent, ceux qui spéculent, tous ceux qui dévastent la planète soit par infantilisme attardé soit par esprit de cupidité vorace.

Quels combats emblématiques pour la CVN?

Un combat, un seul combat emblématique: celui de l'abolition de la chasse, de la corrida, de la vivisection!

En conclusion de cette trop succincte et rapide présentation de la CVN, on constate qu'il se dégage deux idées forces.

Première idée force: La CVN exige l'exercice de la responsabilité dans une réconciliation dont bénéficient tous les êtres vivants sensibles...donc les animaux!

Seconde idée force: La CVN exige cette responsabilité au nom d'une approche nouvelle de la pensée: le biocentrisme.

La Lettre hebdomadaire de notre président Gérard Charollois illustre l'actualité écologique en référence à nos valeurs et à nos objectifs. Notre combat, par exemple, sur les dates d'ouverture de la chasse aux oiseaux migrateurs a été couronné de succès. Nous avons fait reculer le gouvernement Raffarin à plusieurs reprises.

Je vais maintenant tenter de préciser la problématique du rapport à l'animal.

Depuis quelques décennies, il n'est pas nécessaire d'être sorcier pour noter une inflexion, un changement de ton, un accent nouveau dans les rapports de l'être humain avec l'animal. Il s'agit d'une modification profonde du regard de l'être humain sur les autres espèces. Après l'évidence de «l'animal machine», de «l'animal objet», de «l'animal consommation» et de «l'animal spectacle» on commence à le voir, cet animal, sous un jour nouveau.

Quelques exemples concrets pour illustrer une affirmation qui, je le sais, paraît encore provocatrice pour beaucoup.

On peut citer: l'interdiction récente de la chasse à courre en Grande Bretagne, la réglementation européenne relative au transport des animaux, l'interdiction, également récente, de toute corrida à Barcelone. Il existe, bien sûr, beaucoup d'autres exemples, ne serait-ce que l'émotion suscitée par la mort de «Canelle», cette ourse pyrénéenne protégée abattue par un chasseur.

C'est pour moi une conviction: il y a bien des émergences, des mutations et des ruptures dans les rapports de l'être humain avec l'animal.

Ne soyez pas surpris: je vais souvent employer les termes d'émergences, de mutations et de ruptures qui préfigurent, à mon avis, la véritable révolution globale des mentalités que j'ai déjà évoquée.

Une véritable révolution globale des mentalités en particulier à l'égard de l'animal: ce sont les termes de ma problématique.

Il existe bien, aujourd'hui, une inflexion du comportement humain à l'égard de l'animal.

Après la mise en visibilité de cette inflexion je vais, à présent, m'interroger sur l'origine, sur la source de cette inflexion.

S'agit-il d'une «réaction» ou d'une «évolution» de la mentalité actuelle? S'il s'agit effectivement d'une «réaction» ou d'une «évolution», il est nécessaire d'en déterminer et d'en approfondir les différents paramètres et les différents facteurs et caractères.

S'il s'agit d'émergences, de mutations et de ruptures préfigurant une véritable révolution globale des mentalités? Autrement dit, s'agit-il d'une approche nouvelle de la pensée? S'agit-il d'un nouveau mode de pensée? S'il s'agit effectivement d'une nouvelle approche de la pensée, s'il s'agit effectivement d'un nouveau mode de pensée, il est nécessaire de connaître les modes de pensée préalables pour définir en quoi ils se différencient.

Dans cette partie de la problématique je vais tenter d'analyser les paramètres, les facteurs et les caractères de l'inflexion en tant que «réaction» puis en tant «qu'évolution»

Face aux activités dévastatrices de l'homme, face aux gaspillages des ressources, face aux continuelles tueries, à la constante barbarie des rapports humains entre eux et à l'égard des animaux, face à tout cela: la conscience s'insurge! Un mouvement écologiste – celui de Pierre Rabhi – s'est d'ailleurs qualifié «d'Insurrection des consciences». Cette réaction doit être associée à la recherche «éternelle» pour retrouver l'Éden, le paradis perdu, la pureté originelle, ce que l'on a parfois appelé «l'hédonisme écologique», y compris animalier.

Dans ces conditions, cette recherche, c'est, pour moi, un effet nostalgie. Ce qui devient essentiel, c'est l'émerveillement devant le chant d'un rossignol, devant la grâce d'un chevreuil, la majesté d'un arbre, la pureté d'un glacier, l'infini d'un ciel étoilé... Ce qui devient essentiel c'est la capacité de ressentir tout cela, ce qui devient essentiel c'est la nécessité absolue de préserver toutes ces magnificences de la Nature, de la biodiversité, pour le service et le confort de l'homme. C'est au nom de ce «seigneur et maître» qu'il faut absolument préserver la Nature. C'est une réaction «émotionnelle» et «passionnelle» qui n'a par ailleurs rien à voir avec les certitudes scientifiques. Les sciences dites «progressistes» ne tenant absolument pas compte de la biodiversité. La biodiversité est en effet une notion totalement inconnue des sciences prétendues exactes.

Plus particulièrement, face aux activités cruelles de l'homme, on assiste à une dénonciation de la souffrance infligée aux animaux. C'est l'apparition d'un certain moralisme, la recherche d'une éthique, d'une morale à partir d'une réflexion du genre: «On n'a pas le droit de faire ça!». Le biocentrisme, dont on reparlera évidemment plus loin, a parfois été défini comme une théorie morale.

Une nouvelle éthique ou plutôt une éthique nouvelle, celle d'une conscience qui ne peut plus supporter la souffrance gratuite, la souffrance spectacle, la mort-loisir ou la mort-spectacle de l'animal. Une insurrection de la conscience qui conduit parfois à vouloir s'associer à l'animal qui souffre, à vouloir déserter l'identité humaine qui fait horreur.

Après avoir évoqué les paramètres, facteurs et caractères liés à l'aspect «réaction», je vais tenter d'évoquer les paramètres, facteurs et caractères liés à l'aspect «évolution» de l'inflexion.

Pour beaucoup de personnes, y compris «écologistes», c'est de cet aspect «évolution de la mentalité actuelle» que paraît découler tout le reste.

Aujourd'hui, les gens dans leur ensemble perçoivent les conditions de leur existence comme une agression perpétuelle: bruit, pollution, violence... En contrepartie la Nature et l'animal sont considérés comme des ressources exploitables à l'infini...

La tendance comportementale dominante ne considère comme valable que ce qui peut être utile à l'espèce humaine. C'est ce que l'on appelle «l'argument anthropocentrique» ou encore l'argument humaniste.

Face à ces deux tendances fortes on assiste à ce que l'on pourrait appeler une humanisation croissante du Vivant. De plus en plus, la pensée religieuse et la pensée humaniste intègrent l'animal dans leurs préoccupations en développant la sensibilité, le sentiment, la compréhension et la compassion. Nous assistons, semble-t-il, à un transfert des valeurs humaines de l'homme à l'animal dans une sorte de continuité apparente de la pensée religieuse et de la pensée humaniste. Ce qui est alors revendiqué c'est la reconnaissance de la valeur primordiale du sentiment, de la sensibilité.

Dans ces conditions: «réaction» et «évolution» ne doivent pas être opposées ni hiérarchisées même si, aujourd'hui, ce sont les vertus du sentiment et de la sensibilité qui sont mises en avant.

Mais vertus dénigrées, dans leur propre camp, par leurs détracteurs pour qui sentiment, sensibilité, compréhension et compassion ne sont que de la sensiblerie!

De toute façon, je n'ai pas fait plus de 1200 km, aller retour, pour évoquer ce que je viens de vous dire et ce que vous saviez déjà, vraisemblablement.

Je ne nie pas l'importance de ce qui précède ni la sincérité des personnes qui défendent la cause animale au titre de la «réaction» ou de «l'évolution».

Mais l'objet de ma venue et de mon intervention est de rendre visible, lisible et crédible le lien qui associe la défense de la cause animale à un nouveau mode de pensée en pleine expansion: le biocentrisme.

Dans cette dernière partie de ma problématique je me donne pour objectif de montrer que le nouveau rapport à l'animal est dû à une approche nouvelle de la pensée, à un nouveau mode de pensée qui préfigure une véritable révolution globale des mentalités.

Sans se confondre ni s'opposer, cette véritable révolution globale des mentalités s'enchevêtre dans deux approches préalables de la pensée et plus précisément dans deux modes de pensée: le théocentrisme et l'anthropocentrisme qui sont les deux temps forts précédant le biocentrisme.

Des milliers d'associations défendent la cause animale. Depuis des décennies, des centaines, des milliers de dévouements, d'énergies, de disponibilités, de convictions, de générosités...On ne peut nier ces faits au quotidien. Mais pour quelle efficacité? On se console en disant que la diversité est une richesse mais richesse ne veut pas dire efficacité!

Chaque association développe un geyser mais de sont des geysers les uns à côté des autres, dans le meilleur des cas. Souvent une association souhaite l'union mais une union dont elle se veut être la main qui unit.

Ponctuellement, certaines associations coexistent, le temps d'une manifestation, dans un groupe, un comité, un réseau ou un collectif.

Certaines individualités, à toutes les époques, ont aussi réussi à adoucir la condition animale. On peut citer, peut-être l'une des plus célèbres: St François d'Assise, l'ami de la Nature, au 13e siècle (1182-1226).

Tant de forces magnifiques mais éparpillées, tant d'énergies fabuleuses mais diluées, tant de générosités, tant d'ardeurs et de dynamismes extraordinaires mais émiettés, pulvérisés, poussiérisés!!

Combien d'années, de décennies, de siècles faudrait-il face aux lobbies dévastateurs bien structurés, bien financés, bien soudés?

Et pourtant, et pourtant une conscience écologique se lève. Et pourtant la défense de la cause animale s'amplifie.

Alors pourquoi? Pourquoi?

Sans nier le rôle irremplaçable des associations qui constituent le terreau fertile de cette conscience écologique, j'ai la conviction, l'intime conviction que des émergences, des mutations et des ruptures annoncent un nouveau mode de pensée qui sous-tend de façon irréversible la cause animale.

Après les religions, après l'humanisme émerge le biocentrisme.

Le biocentrisme ne s'oppose pas, ne se confond pas: il s'enchevêtre au théocentrisme et à l'anthropocentrisme.

Mais qu'est-ce que c'est le biocentrisme?

Le biocentrisme est un mode de pensée comme le théocentrisme qui a généré les trois grands monothéismes juif, chrétien et musulman et comme l'anthropocentrisme qui a généré l'humanisme.

Approche de pensée, mode de pensée: on ne peut faire l'impasse sur ces notions. N'en attendez toutefois pas une définition exhaustive en quelques minutes. Tentons humblement d'en fixer les principaux éléments.

Trois approches de pensée peuvent être différenciées: l'approche cyclique, l'approche linéaire et l'approche nouvelle que je qualifierai de «complexe».

Toute approche possède des caractéristiques: par exemple, les unités de mesure: 12 et 60 pour l'Ap. cyclique et 10 pour l'Ap. linéaire. Mais aussi la notion de temps, la nature du mouvement...Pour l'approche complexe on peut citer la coévolution.

Toute approche s'élabore à partir de fondamentaux: Chasse/pêche/cueillette – la parole et le matriarcat pour l'approche cyclique ; L'agriculture, l'écriture et le patriarcat pour l'approche linéaire ; l'interactivité, le référentiel/référent et le média (association de l'image, de la couleur et du son) pour l'approche complexe.

Toute approche génère un ou deux modes de pensée. L'approche linéaire avait généré le théocentrisme et l'anthropocentrisme ; l'approche complexe génère le biocentrisme.

Dans cette dernière partie de l'exposé je vais insister sur la spécificité du biocentrisme dans le nouveau rapport à l'animal.

Aujourd'hui, tant au niveau de la conscience individuelle qu'au niveau de la conscience collective que je qualifie de «cerveau de masse», nul ne peut nier l'émergence d'une pensée écologique. Nul ne peut nier l'essor, aujourd'hui, de mouvements écologiques au niveau de la planète.

Mais pour beaucoup, disons pour la très grande majorité d'entre eux, l'écologie n'est que la gestion prudente des ressources naturelles au seul bénéfice de l'homme. Ces écologistes justifient la sauvegarde de la Nature et de «leur» environnement par des considérations strictement égoïstes, strictement humanistes! Pour ces gens là, une plante, un animal n'ont de valeur que s'ils peuvent être utiles.

Pour d'autres, encore très minoritaires, l'écologie fournit un cadre conceptuel et idéologique innovant, autrement dit, une idéologie de relève capable de se substituer à l'humanisme. Ces personnes, les seules vraiment écologistes, selon mon souhait, veulent la protection de toute la communauté du Vivant, la communauté humaine et non humaine du Vivant. Cette communauté du Vivant trouvant sa valeur en elle-même.

Nul ne peut nier cette constante différence depuis les débuts de l'écologie politique. Nul ne peut nier ce clivage irréductible qui sépare les deux branches originelles de l'écologie.

Si dans un premier temps, la branche anthropo-humaniste, que l'on peut qualifier «d'utilitariste», a obtenu quelques succès, elle semble, électoralement parlant, stagner aujourd'hui, son élan stoppé! On peut affirmer qu'elle a atteint ses limites.

Par contre, la branche biocentriste, ultra minoritaire au départ, paraît, idéologiquement parlant, pérennisée et en pleine expansion dans les mentalités.

Des associations nombreuses, généreuses, et, semble-t-il, sincères et de bone volonté, souhaitent réunir les uns et les autres.

Noël Mamère, lui-même, – on ne le présente plus – propose la réconciliation sous la tutelle d'un nouvel humanisme!

Il écrit, dans un texte signé en 2002 à l'occasion des universités d'été des Verts: je le cite: «L'écologie politique ne peut plus se contenter de s'arc-bouter sur la défense de la Nature en tant que telle mais doit générer un nouvel humanisme qui dépasse à la fois le biocentrisme et l'anthropocentrisme.»

Sans succès!

Ce ne sont pas des querelles de petits chefs qui nous séparent mais une vision du monde.

Les écologistes utilitaristes, tous plus ou moins inféodés aux idéologies dogmatiques et humanistes, continuent à bricoler un modèle dont les fondements sont aujourd'hui erronés ou disparus!

Chacun des deux modes de pensée linéaire revendique, par exemple, la vertu d'universalité pour lui tout seul.

Quand on donne à une idée un statut d'évidence, on ne s'interroge plus sur sa validité. Que l'on soit croyant ou humaniste, on affirme donc, comme une évidence, qu'il n'y a rien d'autre de pensable.

L'objet de mon intervention est d'affirmer que, non seulement, il y a autre chose de pensable mais que cette «autre chose», autrement dit: le biocentrisme, est un mode de pensée irréductible, irrépressible et irréversible.

Le terme «Biocentrisme» ne figure pas encore dans les dictionnaires en 2004/2005 mais agrobiologie non plus, alors...

D'après une définition trouvée sur Internet, il serait une théorie morale affirmant que «tout être vivant mérite le respect moral.» Le biocentrisme constituerait une réaction à la fois contre l'anthropocentrisme qui fait de l'être humain le centre du monde et contre le zoocentrisme qui accorde aux animaux des droits moraux équivalents à ceux des humains. Ainsi le biocentrisme s'inscrirait toujours dans le cadre du dualisme.

Mais c'est regarder les choses par le gros bout de la lorgnette.

Le biocentrisme que je m'efforce de vous présenter est un mode de pensée global comparable à part entière au théocentrisme et à l'anthropocentrisme.

La majorité des associations de défense et de protection de la condition animale ne souhaitent qu'améliorer leur sort. À titre d'exemples:

La Société Protectrice des Animaux (SPA) a pour devise: «Sauver, protéger, aimer». Elle se donne pour objectif de «protéger la vie animale et son environnement, de lutter contre la souffrance, de refuser de traiter l'animal comme un objet de consommation et de demander aux pouvoirs publics de légiférer.»

Le Comité de Vigilance et d'Action pour le bien-être animal (CVA) propose d'énoncer que «ce qui crée le droit à ne pas être maltraité, torturé, bafoué dans ses besoins essentiels est, pour l'homme, comme pour les autres espèces la capacité d'éprouver le principe de plaisir/déplaisir.»

«One Voice» s'inscrit «dans l'unité du combat pour les droits des humains, les droits des animaux et le droit à l'environnement.»

L'Association Nationale pour la protection des Animaux Sauvages (France) (ASPAS) œuvre pour «la protection de la faune sauvage, pour la préservation du patrimoine naturel et pour la défense des droits des usagers de la Nature.»

La Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO) a pour but «la protection des oiseaux et des écosystèmes dont ils dépendent et, en particulier, la flore et la faune qui y sont associées.»

La liste, évidemment, n'est pas exhaustive.

On remarquera l'importance accordée aux termes: protection, protéger, préserver.

Aucune de ces associations n'agit ou ne réagit au titre d'une pensée globale mais de façon ponctuelle et spécifique.

Avec le biocentrisme, la pensée gagne une dimension nouvelle, une manière profondément différente de penser, une façon profondément différente de concevoir la réalité elle-même. Nous assistons à une nouvelle culture du réel, essentiellement à partir du concept d'interactivité, de la notion de référentiel et du média comme support de communication. Nous devons nous préparer à intégrer un monde totalement inconnu.

Ce sont les modes de pensée qui structurent notre «Univers objectif», notre univers du réel, notre univers du vivant. C'est en ce sens que l'on peut parler d'univers cyclique, d'univers linéaire ou religieux ou humaniste, d'univers biologique ou écologique.

Le plus stupéfiant, c'est qu'il n'y ait pas, selon moi, un «Univers support» qui serait tantôt cyclique, tantôt linéaire et tantôt biologique. Un «Univers support» comme, par exemple, une bicyclette que l'on peindrait un jour en bleu, un autre jour en rouge et un troisième en vert.

Chaque mode de pensée structure un univers qui n'existe que dans cette structure.

Le mode de pensée théocentrique structure un univers religieux qui n'existe que dans le cadre de la pensée théocentrique.

Le mode de pensée anthropocentrique structure un univers humaniste qui n'existe que dans le cadre de la pensée anthropocentrique.

À son tour, le mode de pensée biocentrique structure un univers écologiste qui ne peut exister que dans le cadre de la pensée biocentrique.

Il en est de même pour les vérités et les réalités. Il existe des vérités révélées ou religieuses, des vérités scientifiques ou humanistes. De même, il existe des vérités biologiques ou écologiques.

Ainsi les religions, l'humanisme et l'écologie ont leurs propres vérités et leurs propres réalités. Ce que Dieu est à la religion, ce que l'Homme est à l'humanisme, le Vivant, lui, l'est à l'écologie.

À la question: «Croyez-vous en Dieu?» Je ne saurais, en tant que biocentriste, répondre par oui ou par non. Je répondrais, par exemple,: «La religion est une structure de pensée qui n'est pas la mienne.» En effet, la question posée n'a de sens que pour un juif, un chrétien ou un musulman.

À la question: «Croyez-vous en l'Homme, aux sciences exactes?» Je ne saurais, en tant que biocentriste répondre par oui ou par non. Je répondrais, par exemple,: «L'humanisme est une structure de pensée qui n'est pas la mienne.» En effet, la question posée n'a de sens que pour une personne humaniste.

Si personnellement je pose la question: «Pensez-vous que le Vivant soit la primauté des primautés?» La question posée n'a de sens que pour une personne écologiste.

Nos habitudes actuelles de pensée sont toutes axées sur le pouvoir d'une théorie qui construit le réel au travers de dogmes, de postulats, d'axiomes ou de principes premiers. Les scientifiques et les philosophes actuels ont été sélectionnés pour leur capacité à repérer les seules situations «bonnes à penser». Permettez-moi de citer une anecdote contée par un ami.

«La nuit, au pied d'un lampadaire, un homme recherche visiblement quelque chose. Un passant s'approche et lui propose de l'aider.

— Que cherchez-vous? dit le passant.

— Mes lunettes répond l'homme.

Au bout d'un temps de recherche infructueux le passant demande:

— Mais est-ce bien là que vous les avez perdues?

— Non, répond l'homme mais ce n'est que là qu'il y a de la lumière.

Les scientifiques et les philosophes actuels ont été éduqués, conditionnés, endoctrinés pour prolonger un certain type de pensée, un type de pensée hermétiquement clos. On ne cherche que là où il y a de la lumière!

Non, nous n'avons rien à attendre d'eux!

Je vais vous citer, pour terminer, quelques référentiels issus du biocentrisme résumés en 1984 par George Sessions et Arne Naess, initiateurs de l'Écologie profonde.

Le bien-être et l'épanouissement de la vie humaine et non humaine sur la Terre sont des valeurs en soi. Ces valeurs sont indépendantes des considérations utilitaires que l'homme peut porter sur le monde non humain.

La richesse et la diversité des formes de vie concourent à la réalisation de ces valeurs et sont aussi des valeurs en elles-mêmes.

Les êtres humains n'ont pas le droit de réduire cette richesse et cette diversité sauf si des besoins vitaux sont en jeu.

L'épanouissement de la vie et des cultures humaines est compatible avec une diminution significative de la population humaine. L'épanouissement de la vie non humaine exige une telle diminution.

De nos jours les interventions de l'homme dans le monde non humain sont excessives et la situation se détériore rapidement.

Comme on le voit au travers de ces cinq référentiels, le nouveau rapport à l'animal fait partie intégrante du biocentrisme sans en représenter la totalité bien entendu.

Ce n'est que par le biocentrisme et son développement que ce nouveau rapport à l'animal pourra être affirmé et pérennisé.

À chacune et à chacun d'entre nous d'être l'actrice et l'acteur de la pérennisation de ce nouveau rapport à l'animal.