Des cochons et des hommes

Documentaire de Bruno Thomé. Projection et débat avec le réalisateur aux Estivales 2005, le dimanche 7 août matin.

La projection de ce documentaire a servi d'introduction à un débat sur la sensibilité des animaux de ferme, et sur la façon dont elle est abordée par les scientifiques experts en bien-être animal.

Commentaire de David Olivier sur cette projection-débat

Un document vraiment fort sur les recherches à l'INRA sur le bien-être animal, avec l'exemple des cochons. Des discours qui confirment ce que beaucoup d'entre nous savions, c'est-à-dire que structurellement les scientifiques ont un gros pb à arriver à prendre au sérieux la sensibilité. Un film qui permet aussi de voir concrètement les personnes derrière les noms qu'on voyait passer dans le cadre d'Agri-BA, de voir leurs discours, leurs tics, les conflits avec leurs étudiants... Edwige Ducreux, une étudiante très critique vis-à-vis de l'INRA et sympathisante des animaux (tout en les mangeant, mais pas en batterie): «Moi aussi je mets bas, [le terme] ne me dérange pas.» Armelle Prunier, une cheffe: «Tout le monde à l'INRA dira qu'on travaille d'abord pour l'éleveur.» Marie-Christine Meunier-Salaün, cheffe d'Edwige Ducreux: «Si à la demande de la société il est important de prendre en compte le bien-être [des animaux]...» Ce qui signifie bien qu'elle ne considère pas ce bien-être comme important en soi, mais seulement comme réponse à la demande du capricieux peuple-roi. On a pu les voir aussi presque ouvertement admettre qu'on leur commande des études en même temps que les résultats (ex. chauffer les porcs à 27° pour les forcer à mieux aimer le béton que la paille). On a eu quelques paroles bien senties de Florence Burgat, sur la «stupidité des recherches pour savoir si couper la queue fait mal.» Et aussi, qui a noté que comme forces soutenant l'élevage intensif, il n'y a pas que le monde agricole lui-même, mais aussi (surtout?) l'industrie pharmaceutique, qui fait une bonne part de son chiffre d'affaire (plus de 50%?) à partir des produits vétérinaires pour l'élevage.

(Les citations ci-dessus sont les phrases que j'ai notées en passant, peut-être pas littérales.)

J'ai aussi été frappé par cette équation omniprésente à l'INRA selon laquelle le bien-être peut se mesurer «objectivement» par la satisfaction des besoins; comme si les besoins existaient «biologiquement», indépendamment du bien-être, du subjectif. L'idée qu'un organisme vivant a des besoins, qu'il a donc un «bien» indépendant de son ressenti, un bien aussi pour les plantes, dont on dit qu'elles ont des besoins en eau, etc. Un point de vue très aristotélicien, je crois, et tout à fait indéfendable dans le cadre de la science moderne.

Autre point de mes notes (c'était le 1er jour, j'avais du courage pour en prendre): les métaphores très humanisantes type «budget-temps» pour les cochons. On étudie comment le cochon «gère son budget-temps» entre l'alimentation, le repos, etc. Un peu comme on étudie la gestion du budget-temps de la ménagère dans les enquêtes de marketing. L'impression que les gens de l'INRA reconnaissent tout à fait les cochons comme des êtres sensibles, rationnels, mais comme ils ont aussi la possibilité de le nier, ils ont la même liberté avec eux que les enfants avec leurs poupées, les choyant quand ils en ont envie, les traitant comme des objets à d'autres moments...

Contraste aussi entre les critères de bien-être humain comme comme celui du week-end dans l'organisation du travail (il faut aussi que l'éleveur ait son w.-e. libre) et la brutalité du traitement auquel sont soumis les cochons, dont le bien-être n'est compté qu'en raison de la «demande sociale» et des répercussions du stress sur les courbes de croissance.

Dommage qu'il n'y ait pas plus de films dans le genre, et que celui-ci ne soit pas plus connu.