Compte-rendu

Fabien Carrié pendant la conférence

La conférence a eu lieu le jeudi 26 juillet au matin en présence d'environ 61 personnes.

La conférence a été enregistrée et des notes ont été prises pendant la conférence et le débat.

Enregistrement audio

L'enregistrement de la conférence dure 38 minutes.

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Notes

Conférence

Fabien, doctorant en sciences politiques à Nanterre, influencé par Bourdieu, travaille sur la cause animale, ses développements au fur et à mesure de l'histoire. Sociologie historique et politique.

Il travaille sur la cause et la question animale en Angleterre, parce que c'est le pays où la question a pris beaucoup d'ampleur au XIXe siècle. Dans ce pays, la question animale s'est définie et développée.

 

Avant de parler de cette période, je vais revenir sur la façon dont j'ai élaboré mon projet de recherche.

J'ai commencé à travailler sur la question animale à partir de mon mémoire de master 2 qui portait sur l'antispécisme en France. J'avais commencé à vouloir comprendre les facteurs sociaux et culturels qui expliquaient que se soit développée la question animale, notamment un concept: le processus de civilisation (= c'est parce que les chaînes d'interrelations sociales s'allongent, que les individus sont plus dépendants des autres que toutes les formes de violence deviennent de plus en plus gênantes; par ex. au Moyen Âge, on apportait des cadavres entiers d'animaux à la table et la découpe était une tâche prestigieuse, faite à table, en public, mais au fur et à mesure, la découpe s'est faite en coulisse et par les serviteurs)

Quand la violence se donne à voir plus clairement vis-à-vis de l'animal (ex: laboratoires, abattoirs...) ça devient interdit ou relégué dans des espaces oblitérés.

Pour des gens qui n'ont pas connu ces formes de violence qui rendaient l'exploitation animale comme évidente parce qu'elles se passaient sous leur nez, la question de l'exploitation n'est plus une évidence, ni le rôle qu'ils ont dans cette exploitation. La découverte de cette exploitation peut déboucher sur une gêne ou un choc. C'est la résultante du processus de civilisation.

Ce travail m'a donné envie de continuer à travailler sur cette thématique.

 

J'ai commencé une thèse comparative pour comprendre les différentiels de développement entre la France, l'Angleterre et les US. J'ai élargi temporellement en allant de la construction (XVIIIe) à nos jours. J'ai voulu aussi élargir sur toutes les formes que prend la question animale (lois, écrits philosophiques...) et les considérer dans cette période élargie.

Étudier la circulation d'une idéologie animaliste.

Cette idéologie se compose de plusieurs matières (mouvements sociaux, tracts, pamphlets, écrits philosophiques, dispositifs juridiques...)

Les acteurs qui produisent cette idéologie-là prétendent être légitimes pour parler des animaux: militants, État, scientifiques, exploitants...

Concrètement, j'étudie une configuration, des groupes d'acteurs, en concurrence pour imposer leur idéologie. Il y a aussi eu des évolutions, des définitions différentes.

Les deux premières formes de cette idéologie, en Angleterre, au XIXe siècle.

A la fin du XVIIIe siècle, la question animale commence à se constituer. Il y a une inflation de textes sur la question animale, à des réactions par rapport aux théories cartésiennes de l'animal machine. Les scientifiques commençaient à dire que la distance entre l'animal et l'humain n'était pas aussi importante de ce qui avait été dit jusqu'ici.

Le pb de la cruauté envers les animaux devient un pb public. Dès 1800, il y a eu des propositions de loi au parlement contre certaines pratiques. Par exemple, le bullbeating (combat entr des chiens et un taureau). D'autres propositions de loi contre les pratiques des charretiers, qui battent les animaux pour les faire avancer. En 1822, une première loi, Martin's Act, passe en Angleterre, au sujet du transport des animaux de boucherie.

Arguments: la violence est contagieuse (période où l'hygiénisme se développe) et elle amène d'autres vices. Par exemple, aux jeux de bullbeating, les gens parient, les gens boivent. La violence sur l'animal provoque l'alcoolisme et peut se déplacer sur les enfants, les femmes, etc.

On ne remet en cause que les pratiques des classes populaires.

Alors qu'un arsenal législatif se met en place, on a l'élaboration d'organisations qui veulent assurer la publicité de ces lois et les faire appliquer par eux-mêmes. Ces organisations s'affrontent sur la façon dont la question animale doit être pensée: doit-on être coercitif? doit-on éduquer les gens?

À partir des années 1840, la RSPCA va devenir l'organisation qui définit et impose sa conception de la cause animale. Elle est beaucoup plus puissante que la SPA, créée quelques années plus tard. Elle comprend beaucoup de députés qui ont des réseaux parlementaires qui leur permettent de passer des lois. À partir de 1860, la RSPCA peut appliquer directement les lois. Beaucoup de pratiques disparaissent et deviennent marginales.

 

Dans cette période, les instances travaillant sur la cause animale sont constitués de hauts-bourgeois, aristocrates et gens aisés, qui se rencontrent dans des lieux neutres. La question animale est finalement secondaire. Ce qui est problématique à leurs yeux est la cruauté et la violence des classes populaires. Les pratiques aristocrates semblent à leurs yeux civilisées car elles sont codifiées (en chasse à courre, ils ne touchent pas eux-mêmes les animaux, par exemple), alors que pour les classes populaires, il n'y a pas de codification.

En enseignant le respect pour les animaux aux classes populaires, on leur apprend à être plus civilisés pour maintenir des rapports de domination, domestiquer les dominés.

L'idéologie animaliste est une forme d'amphibologie (phase en deux fois): derrière il y a des logiques sociales fortes.

 

La deuxième définition de la question animale se met en place en 1860-70, notamment en réfléchissant aux pratiques telles que la vivisection et la chasse à courre. Il y aura une scission qui sera dédiée à l'une ou l'autre des questions. Concrètement, on assiste à une forme de détournement, on retourne vers les classes dominantes, qui sont requalifiées comme étant cruelles, on va donc les moraliser dans leur relation avec l'animal.

 

Les définitions différentes se réactualisent à chaque fois à l'arrivée de nouveaux groupes. A cette époque-là s'affirment des militant/es féministes (suffragettes), syndicalistes liés au mouvement chartiste (=premiers groupes de défense des intérêts des travailleurs), des petits intellectuels. Pourquoi le font-ils? Ils retournent la moralisation sur les dominants. Pendant longtemps, pour disqualifier les groupes sociaux, on les animalise (femmes, noirs, pauvres); ce syncrétisme favorise l'identification entre les dominés et les animaux. La vivisection est liée au pouvoir médical, et le corps de l'animal est mis en parallèle avec le corps malade, fragile, des femmes ou des pauvres soumis au pouvoir du médecin.

Débat

Anou: Quel a été le répertoire d'actions des militants pour rendre cette question animale publique?

 

FC: La première période, surtout les lois, la deuxième période, déjà des manifestations.

 

Yves: On est toujours dans la deuxième définition?

 

FC: Les deux définitions ont cohabité. Il y a une dernière définition qui commence dans les années 60-70, c'est la libération animale.

 

Jérôme: Y a-t-il des liens avec l'abolition de l'esclavage humain?

 

FC: Certains des agents sociaux qui participent à l'abo de la vivisection sont des abolitionnistes, sans forcément que la question animale soit en jeu et mise en parallèle avec la question de l'esclavage. Le rapport avec l'esclavage est venu beaucoup plus tardivement.

 

Yves: Quelle définition des animaux était donnée à cette époque? Par exemple, la libération animale les considère comme des égaux. Qu'en était-il à l'époque?

 

FC: Ce sont des frères inférieurs et il y a des catégories. Ce qui compte, ce sont les animaux domestiques utiles, qui peuvent nous rapporter de l'argent.

Sur la deuxième définition, on ouvre sur des animaux de compagnie: des chiens, des chats... Mais par exemple, on veut abolir la chasse, mais on ne remet pas en cause la régularisation des animaux par le meurtre (on propose par exemple de les empoisonner). C'est plutôt dans la troisième définition que l'animal est considéré comme un individu.

 

David: Je trouve faux de nier que les gens puissent avoir un réel intérêt pour les animaux et expliquer cet intérêt par des biais sociologiques. Quand tu dis que dans la première période, les mouvements pro animaux étaient là pour domestiquer les dominés, je ne comprends pas pourquoi les dominants sont passés par des idées, si ces idées n'étaient pas d'une certaine façon partie prenante du processus lui-même. C'est dangereux de dire que les animaux sont une façon d'agir mais pas un vrai sujet.

 

FC: Ce n'est pas quelque chose de conscient et cette visée n'est pas formulée. Les gens le font parce que cette cruauté les choque. Mais ils ne sont pas choqués par leurs propres pratiques. La volonté de domination n'est pas exclusive.

[Débat sur le bien-fondé de la sociologie]

 

Marie: Pour moi, quand on s'attaque à la chasse à courre, c'est un prétexte. Une définition de l'animal, c'est quand on prend les animaux en compte dans toutes les causes. Qu'en est-il de la question de la viande?

 

FC: Il y a des groupes végétariens mais pas du tout abolitionnistes, plutôt hygiénistes. Il n'y avait pas de lien avec la cause animale qui était présenté.

 

Sabine: Le cas de l'Angleterre m'intéresse beaucoup. As-tu vu au cours de tes recherches comment concrètement les groupes sociaux s'étaient organisés pour obtenir des lois? Qu'est-ce qui t'a motivé à entreprendre ce travail de thèse et en quoi fera-t-il avancer la cause animale aujourd'hui?

 

FC: Ce n'est pas à moi de répondre sur la dernière question, je n'ai pas cette prétention. Comment se sont organisés les groupes végétariens? C'était souvent des députés, des religieux protestants.

 

Sabine: Feras-tu un livre grand public de toutes tes recherches?

 

FC: Déjà, je vais finir ma thèse et si je le peux, je publierai mais c'est loin pour l'instant.

 

Baptiste: Quand tu parles des années 1820, on est en pleine restructuration intellectuelle, il y a beaucoup plus d'animaux dans les villes, dans les usines, dans les mines. On sort les abattoirs des villes et on augmente leur cadence. Pourquoi se sont-ils attaqués à des pb mineurs comme la chasse à cour ou les combats de bœufs?

 

FC: Les premières organisations ont parlé de la violence des charretiers sur les animaux de trait. Ils citent l'exemple de la France pour les abattoirs, c'était quand même un pb. Mais le gros pb reste cette violence communicative.

 

Yves: Tu analyses des dynamiques internes au mouvement mais il y a des déterminants externes à ce qui peut être fait socialement. Je me demande dans quelle mesure tes travaux peuvent permettre de repérer les blocages de la société. Quel type d'animalophobie existait à chaque période, quel type de végéphobie?

 

FC: Pour moi, ce sont des forces de résistance à la végéphobie. En Angleterre, la résistance des classes populaires est d'essayer de truander pour continuer les combats d'animaux. Il y a un gros travail à faire sur la discrimination des militants animalistes à partir des années 70, d'analyser les modes de résistance.

 

Yves: J'avais en tête des résistances plutôt globales, interclasses, intercatégories, comme la végéphobie.

 

David: La végéphobie est la résistance à la remise en question de la viande. Mais on peut aussi voir les choses d'une autre manière. Est-ce que l'homophobie a commencé à exister quand il y a eu des mouvements de libération homosexuelle? Non, l'homophobie a toujours existé. A cause de l'homophobie, il n'y avait pas d'homosexualité visible. Peut-être qu'on peut se dire que ce qui a existé n'est pas l'émergence de groupes pro-animaux mais le préalable: le fait de tuer les animaux. La chose à expliquer serait peut-être qu'il n'y ait pas de contestation de ça. La végéphobie était présente depuis longtemps car il y a 2000 ans il était difficile de remettre en cause la consommation carnée.

 

FC: La consommation de viande n'est pas une norme depuis longtemps. Donc la végéphobie ne pouvait pas exister avant que des gens remettent en cause la consommation de viande.

Par contre, il y a des enjeux et des débats importants sur la question de l'animalisation de certaines catégories d'humains.

 

Baptiste: Quand tu dis que manger de la viande est un phénomène récent c'est faux: au Moyen Âge, même si on ne le faisait pas tous les jours, on trouvait normal de tuer un animal pour le manger.

 

FC: La question de manger de la viande ou non n'était pas posée.

 

Jérôme: Y a-t-il un lien entre l'émergence de ces positions sur les animaux et les travaux de Darwin?

 

FC: La diffusion des travaux de Darwin est problématique, il a été très précautionneux, il y a eu plusieurs lectures. Il y a eu une vague influence dans la deuxième définition. Utiliser le darwinisme pour reconsidérer son rapport à l'animal était très marginal.

 

Hélène: Le titre était «les modélisations». En Inde, qu'est-ce qui a fait avancer les choses? La venue d'une autre religion: le bouddhisme.