Compte-rendu

Isabelle Dudouet Bercegeay pendant la conférence

La conférence a du lieu le samedi 28 juillet après-midi en présence d'environ 65 personnes.

La conférence a été enregistrée et des notes ont été prises pendant la conférence et le débat.

Enregistrement audio

L'enregistrement de la conférence dure 118 minutes.

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Notes

Conférence

On ne va pas parler d'éthique animale. Ce dont il va être question n'est pas proposé à la place de l'éthique animale. Ça arrive d'être face à des personnes convaincues par le discours éthique et qui ne changent rien. Soit on est en tête à tête, soit on est dans le média de masse (radio, conférences, TV...) et là je prends le parti de prendre les arguments qui touchent le plus grand nombre. Ça ne m'empêche pas de parler d'éthique, sans jamais dire «il ne faut pas manger de produits animaux», c'est à la personne de faire cette démarche elle-même. En revanche, je vais parler de choses précises d'un ton quasi détaché, comme s'ils connaissaient déjà, pour ne pas être culpabilisante et ils ont le message en passant.

Le pur rationnel pour certaines personnes ne peut pas marcher.

 

Il y a des éléments qui interfèrent avec des valeurs qui pourraient être partagées par tous: respecter et ne pas nuire aux êtres sentients.

À la base, il y a ce tabou de faire mal. J'ai une théorie: au départ, l'humain était originaire d'Afrique, et fruitarien, comme d'autres grands primates non humains, on a dû essaimer. Quand on est parti en migration, on n'a pas trouvé les fruits en quantité nécessaire. A un moment, on a dû briser un tabou et tuer de façon volontaire.

 

Beaucoup de sociétés, pour se permettre de manger l'animal, sont passés par des sacrifices. Au fond de nous, il y a un tabou qui est de tuer. A grand renfort de choses artificielles telles que le sacrifice animal, qui maquille cette mise à mort.

 

S'il n'y a pas d'interférence entre cette idée «on est d'accord de pas nuire à autrui», on sera végé. S'il y a des interférences, soit en nombre, soit en importance, on va continuer à commanditer l'abattage des animaux, même si, au fond de nous, on n'est pas d'accord avec ça.

 

Les freins sont en réalité des peurs: psychologiques, plaisir, croyance. On peut continuer notre discours, mais si la personne a une peur, ça ne servira à rien.

  • peurs psycho: remise en question personnelle, peur d'exclusion, conflit de loyauté avec les parents
  • plaisir: l'être humain recherche le plaisir comme tous les animaux: plaisir gustatif et convivialité, la difficulté de changer les habitudes, la vie sociale.
  • croyances: idées reçues concernant la santé, «si je ne mange pas de viande, je meurs.»

Et si parler de la santé, de l'environnement, du partage des ressources, mais aussi de gastronomie et de convivialité, pouvait permettre de contourner l'obstacle «conflit de loyauté» et ainsi aider à la cause des animaux?

Est-ce que certaines personnes n'auraient pas besoin d'autres étapes pour s'autoriser s'ouvrir à l'éthique, et se l'approprier?

 

Dans ma propre expérience, j'ai constaté que c'était le cas pour certains.

Souvent, le but du jeu de prendre des moyens détournés permettra de lever le conflit de loyauté et d'autres obstacles psychologiques.

 

Est-ce que communiquer massivement sur les aspects santé, gastronomie et environnement permettrait d'aider à affaiblir l'idée reçue que manger de la viande/produits animaux est la norme logique?

Demander à quelqu'un de ne pas nuire à un être sentient alors qu'il n'est pas conscient que le poulet et le cochon est sentient, c'est comme lui demander de ne pas donner de coups de pied à une pierre.

 

L'idée va être, non pas de démontrer pourquoi c'est mieux de ne pas manger de produits animaux, mais plutôt de montrer pourquoi c'est illogique de continuer à en manger.

1- Blocages psychologiques

La remise en question personnelle

 

Ici, on a tous franchi cette étape donc on ne comprend pas que c'est important. Quand on renonce à la viande, comme le dit Philippe Laporte dans Psychologie sociale du crime : «Renoncer à la viande [...] c'est s'accuser de toute la souffrance que l'on a infligée aux animaux jusqu'au moment de cette décision.»

Tout le monde n'est pas capable d'accepter ça. Dans l'enfance, on a besoin de plaire à nos parents, d'être parfait. Reconnaître qu'on n'est pas parfait, c'est difficile pour certaines personnes, qui n'arrivent pas à se le pardonner.

On peut ne pas être capable de reconnaître qu'on a généré tellement de souffrance et qu'on a continué en connaissance de cause et donc continuer comme si de rien n'était pour ne pas s'accuser: on est végétarien refoulé.

Les plus flagrants des végétariens refoulés sont ceux qui parlent d'un ton agressif, qui disent très fort: «un steak, c'est trop bon.» Ce sont les plus faciles à décrocher.

Quand la personne se bloque complètement en décidant inconsciemment de perpétuer le crime pour le nier, on a des leviers pour débloquer.

Les femmes sont plus souvent sensibles à des alibis neutres du type «bénéfices pour la santé». Les hommes sont le plus souvent sensibles à l'alibi neutre «bénéfices pour l'environnement».

C'est l'apparence qu'on veut se donner mais ce n'est pas ce qu'on pense au fond de soi.

 

C'est comme si certaines personnes avaient besoin de passer par ces alibis pour s'autoriser à changer ses habitudes. Une fois que c'est fait, elles s'autorisent à exprimer leur empathie envers les animaux non humains et donc s'ouvrent à l'éthique, une fois leurs habitudes alimentaires déjà modifiées.

Le conflit de loyauté envers ses parents

Certaines personnes ne veulent pas remettre en question ce que sont leurs parents ni leur déplaire. Entre accepter l'argument éthique et passer à l'acte et changer les habitudes alimentaires, il faut nécessairement remettre en question notre éducation.

Si on est adulte, il faut accepter que nos parents ne sont pas parfaits, qu'ils ont le droit de se tromper, qu'ils ont été des commanditaires de mise à mort, alors qu'il n'y avait pas de nécessité.

 

Est-ce qu'on est tous réellement adultes? S'autorise-t-on à critiquer nos parents? Avons nous tous cette force de caractère?

Pour les personnes qui ne peuvent pas critiquer leurs parents ou qui n'ont pas cette force de caractère, on revient au conflit de loyauté. Ils sont d'accord avec l'argument éthique mais ils continuent quand même de manger les animaux car ils ne peuvent pas remettre en question leurs parents.

On peut faire le parallèle avec l'excision qui n'est pas remise en cause parce que les femmes qui l'ont elles-mêmes vécue perpétuent le crime avec leur propre fille.

 

Intuitivement, sans nécessité de se remettre en question, on sait que nos parents ou grands-parents n'étaient pas censés savoir que manger de la viande n'était pas bon pour la santé ou l'environnement. Ils avaient le droit de ne pas savoir que la cuisine végétarienne était bonne. En revanche, on sait très bien qu'ils ne pouvaient pas ignorer que le meurtre était nécessaire pour obtenir de la viande. Nos parents ou nos grands-parents ont eux-mêmes peut-être tué des animaux.

On peut avoir besoin de repasser par la case alibi santé ou alibi environnement pour ne pas remettre en cause l'éducation parentale.

 

Pourquoi ces personnes vont nous agresser ou se ficher de nous? On est la preuve vivante qu'il n'y a pas de nécessité de tuer les animaux. Ça les rend mal à l'aise. Une fois qu'elles ont changé d'attitude par rapport à leur alimentation, ces personnes s'ouvrent à l'éthique.

Peur de sortir de la norme

10% des Français vont choisir leur alimentation par altruisme. Plus les motivations s'éloignent de l'égoïsme, moins elles sont répandues. La société de consommation formate à être comme les autres. On a la peur au fond de nous de s'isoler socialement.

Ici, on a tous surmonté cette peur mais certaines personnes ne l'ont pas surmontée. On peut faire le parallèle avec les écologistes purs et durs.

Peur de risque de rupture familiale

De façon inconsciente, les parents risquent de se voir considérer comme des meurtriers par leurs propres enfants. Si les parents avaient un respect pour leurs propres parents, le fait de rejeter les valeurs familiales transmises peut être vu comme une trahison insupportable.

Ces parents-là vont mettre en place un mécanisme d'autodéfense, vont se mettre en colère et vont en faire voir de toutes les couleurs à l'enfant devenu végé (même adulte). Si on arrive à l'accepter, ça peut se calmer mais ça peut prendre quelques années.

La peur de ne pas plaire à ses parents
La vie professionnelle

Celle-là n'est pas forcément évidente mais est pourtant importante. On est dans une société qui survalorise les prédateurs.

 

Tout est mis en œuvre pour glorifier le statut de prédateur. Il a un rôle indispensable de régulateur. Dans les reportages animaliers, les prédateurs ont droit à un statut d'individu. La plupart du temps, dans la nature, ils échouent quand ils attaquent une proie mais dans les documentaires animaliers, on montre les prédations qui fonctionnent, ce qui lui donne une image très puissante.

 

On réduit l'animal prédaté à son statut de proie. Il y a peu de reportages sur eux, on ne leur donne pas de prénom, ce ne sont pas des individus mais des troupeaux, des réservoirs de nourriture pour les prédateurs.

 

Si vous êtes dans une branche professionnelle dans la compétition, (≠branche pro dans la compassion: médecins, infirmières, profs, avocats qui défendent les victimes...) comme commerciale, caissière (il faut faire très vite sous peine de perdre sa place), avocats d'affaires, etc. il est difficile d'affirmer qu'on est contre la loi du plus fort. Implicitement, ça revient à dire: «je refuse les règles du jeu de cette entreprise.»

Peur de renoncer à sa virilité

Les valeurs qui prédominent dans notre société ne sont pas féminines. Ça pourrait être intéressant de rassurer les hommes qui ont peur de perdre sa virilité.

Censure sociale

Au lycée, en cours de français et de philo, on étudie des auteurs mais on ne parlera jamais de leurs écrits concernant l'éthique animale. Par exemple, on souligne le combat de Voltaire sur l'inquisition, mais on n'étudie pas les écrits sur l'éthique animale. En revanche, on est obligé de se coltiner les repas pantagruéliques de Rabelais.

 

On a peur de se regarder en face, et on doit passer par des alibis qui sont tout sauf éthiques. Ça ne va pas faire intervenir des processus trop émotionnels. Est-ce que c'est grave? Non, car ces personnes vont s'ouvrir à l'éthique par la suite. Même si ce n'était pas le cas, ils participent, malgré eux, à la banalisation de manger végé en public. Pour des personnes qui auraient une timidité maladive, qui ne s'autorisent pas à être végé, ce sera profitable de voir de plus en plus de végés. Même malgré eux, ils vont participer à banaliser l'acte d'aller vers le végétarisme.

2- La recherche du plaisir

Le plaisir gustatif et la convivialité

Fondamentalement, la nourriture fait partie des plaisirs que recherche l'humain. 70% des français choisissent leur alimentation selon le critère plaisir (sondage publié dans «Quotidien du médecin».)

On peut en tenir compte, quand on est bloqué avec quelqu'un dans une discussion éthique: est-ce que la personne n'aurait pas la peur de perdre le plaisir de manger ou de mourir?

Le but du jeu est de débusquer le non-dit. Ça peut être intéressant de garder ça à l'esprit. Pour une partie importante du public, le mot «végétarien» fait peur. Globalement, c'est l'idée qu'on ne mange rien. Pour couronner le tout, on se coltine l'industrie agro-alimentaire et ses méthodes marketing qui saturent de messages le cerveau de nos interlocuteurs et véhiculent de façon continue les délicieuses saveurs des produits animaux donc le plaisir donné.

Ce qui pèse contre nous est l'image de l'alimentation végé, donc la frustration, le conditionnement des consommateurs, la gastronomie élevée au rang de sport national.

Il faudrait communiquer aussi sur la gastronomie pour lutter sur les idées reçues qui associent le végétarisme à de la sous-nourriture.

Les personnes doivent être convaincues qu'elles pourront satisfaire leur besoin de plaisir. On peut parler du plaisir qu'on a de manger à sa faim, de se régaler, de dire qu'on fait tout ça avec le plaisir de laisser vivre, de ne pas nuire.

3- La difficulté de changer ses habitudes

Selon la segmentation marketing, il y a trois catégories de personnes: modernistes, conformistes, traditionalistes. Dans le cas d'un lancement de produit qui doit durer dix ans, comme on ne peut pas voir tous les clients, on va voir les modernistes. Les conformistes auront peur.

L'allusion à «la nuit des temps» n'est qu'un prétexte qui peut servir aux végés refoulés pour continuer le crime.

Tout changement d'habitude demande un effort important.

4- La vie sociale

Percevoir qu'on est trop différent de l'autre peut poser problème.

Il faut communiquer sur la vie sociale. On peut être végé et continuer à vivre comme tout le monde.

5- Idées reçues concernant la santé

Le manque de protéines, la fatigue, les carences... Si les personnes sont intimement convaincues que la viande est indispensable à la santé, elles pensent qu'on est des carnivores. Il faut dire qu'on a une bonne santé mais qu'on a une bonne santé globale.

20% des français choisissent leur alimentation par rapport à leur santé. Plus il y aura de végés ou de personnes à tendance végé, plus ils vont banaliser le végétarisme.

La personne va mettre en balance les avantages et les inconvénients d'être végé et va prendre sa décision en fonction de cela (un des bénéfices va être de ne plus tuer).

Est-ce que communiquer sur ces aspects contribuerait à affaiblir l'idée que tuer les animaux est la norme logique? Si on commence à percevoir que ce n'est pas si difficile de changer ses habitudes cela peut contribuer à nous aider. Comme le conflit de loyauté est répandu, ça permettra d'aller à l'encontre de ce conflit de loyauté, de le contourner.

Les perspectives: un nombre d'animaux épargné, faciliter l'acceptation de l'argument éthique, car les gens pourront fixer de nouvelles habitudes alimentaires, les pays du Sud qui copient les habitudes alimentaires des pays riches parce que leur pouvoir d'achat augmente mangeront peut-être moins de viande.

Débat

Killian: J'ai deux remarques. J'ai trouvé ta conférence intéressante mais j'ai l'impression d'être dans une conférence marketing où on est en concurrence avec l'industrie de la viande et on voudrait vendre notre produit alors que l'industrie de la viande est énorme et le milieu végé est ridicule, comme si on voulait vendre quelque chose. Ce n'est pas la stratégie que je préfère. En plus, les entreprises qui reprennent les idées de leur concurrent alors qu'elles sont plus faibles n'arrivent pas à leur fin.

Le but est de rendre les gens végétariens. On a à disposition plusieurs argumentaires. Le but, c'est d'arriver à la libération animale. Le végétarisme n'est qu'un moyen pour y arriver.

 

IDB: Première chose, ce que j'ai dit au tout début, c'est que l'argumentation que je propose n'est pas à la place de l'éthique, c'est pour les personnes pour qui l'éthique bloque. Quelle est la justification de l'exploitation animale? C'est le fric. Toutes les entreprises (fourrure, viande...) le font pour le fric. Ils font donc croire au public que manger de la viande est indispensable. La première peur véhiculée est la peur de mourir. Les exploiteurs des animaux vont le justifier par ce type d'argument. Il y a des végétariens refoulés. Au début, je ne parlais que d'éthique mais je trouvais que ça ne marchait pas très bien.

Ce qui est important, c'est de faire abstraction de soi. Être à l'écoute est fondamental et c'est très difficile. Il faut parler très peu pour laisser parler les gens.

Pour le deuxième point, pourquoi ça te pose problème de reprendre les méthodes marketing?

 

Killian: On peut créer un débat mais on n'avance pas beaucoup vers le but. Le fait de vouloir chercher à rendre les gens végétariens, c'est comme les témoins de Jéhovah. Est-ce que la libération animale n'est pas l'excuse pour rendre les gens végétariens?

 

IDB: Je n'ai pas besoin de ces moyens quand les gens n'ont pas de blocage psychologique.

 

Éric: Par rapport au sentiment de culpabilité de la personne qui réalise qu'elle a été un meurtrier pendant la première partie de sa vie, du fait d'avoir consommé de la viande, ça l'oblige à reconnaître que ses parents ont été des meurtriers. Est-ce que cette personne est responsable des meurtres de toute cette partie de sa vie?

 

IDB: Elle a été faite à cause de ce pour quoi elle avait été conditionnée de faire. Il y a un moyen simple de ne pas l'impliquer de façon accusatrice: dire que nous-mêmes avons mangé de la viande, aimions la viande mais n'aimions pas manger les animaux.

 

David: J'ai raté le début de ta présentation mais de ce que j'en ai vu c'est que tu as fait une analyse très fine et très juste de beaucoup de blocages psychologiques qui existent de la condition des personnes en face. C'est quelque chose de précieux mais trois points fondamentaux me gênent. D'abord, le fait que tu as pris une approche qui consiste à se placer sur le terrain de l'adversaire (contrer les messages publicitaires de l'industrie agro-alimentaire) alors que se placer sur leur propre terrain c'est jouer perdant, car ils sont bien forts que nous. Quand il y a une unanimité, c'est plus fort qu'on la transforme en une unanimité moins une personne. Donc ça a un effet fort de refuser. Mais si on a exclusivement cette approche-là, c'est une approche perdante.

Deuxièmement, ton approche est uniquement une approche un à un. Je ne suis pas contre l'approche sur les stands et il n'y a pas qu'une approche possible. Troisièmement, la question d'exclusivité. Je n'ai jamais été contre l'utilisation d'argument écolo ou santé. Ce qui me désole c'est que les partisans de l'argument santé sont contre l'utilisation de l'argument éthique. Je suis pour avoir le droit d'utiliser des arguments éthiques, d'utiliser des arguments politiques. Quand j'ai lancé la Veggie Pride en 2001, je voulais qu'en tant qu'idée nouvelle elle ait une définition: dire qu'on est végé pour les animaux. On n'interdisait pas d'autres manifestations. On s'est fait tomber dessus.

L'expérience que j'ai à l'AVF, depuis que tu as été présidente, j'étais depuis peu contributeur à la revue de l'AVF. Trois articles que je proposais étaient censurés parce qu'ils n'étaient pas positifs.

 

IDB: Un article concernait la souffrance des animaux sauvages qui se faisaient tuer par d'autres. Moi-même, ça m'énerve et je ne supporte pas les documentaires animaliers car j'ai une impression de voyeurisme. L'article disait diminuer la souffrance ressentie par d'autres. Moi j'aimerais bien. Mais les abonnés à la revue ne sont majoritairement pas végétariens. Ton article aurait eu sa place dans une revue antispéciste ou animaliste. Ce n'est pas une décision facile à prendre mais on avait cette crainte que de partir dans ces considérations chez des personnes qui n'avaient pas conscience de la souffrance qu'impliquait ce qu'ils mangeaient (on les recrute beaucoup dans les salons bio) et il faut tenir compte d'elle, avoir des articles accessibles à ces personnes et que ça risquait de les bloquer.

 

David: Je suis pour un mouvement pluriel. Je veux bien que des messages se diffusent dans la mesure où ils ne censurent pas les autres. Dans ta présentation, tu as dit constamment «il faut dire ceci mais pas cela», c'est inhérent à ta démarche.

Il y a une diversité des personnes végés/pas végés. A l'époque où je réfléchissais à la question des animaux, mon plus grand frein était que je n'avais pas envie de ressembler aux végétariens tels que les présente la revue de l'AVF.

Il y avait une image unique des végétariens et elle ne me correspondait pas.

 

IDB: Je ne m'adresse pas qu'à du un à un. J'ai aussi parlé des médias.

 

David: Même quand tu parles d'intervention dans les médias, tu utilises quand même la même argumentation.

 

Hélène: Il faut être enthousiaste comme Gary Y. dans le film. Quand tu dis que tout le monde est un végé refoulé, je dis que tout le monde est un révolutionnaire refoulé.

 

Sophie: Quelle est ta réaction face aux personnes qui sont religieuses et convaincues? Il y a beaucoup d'arguments en faveur des animaux mais ils les ignorent ou ils se réfugient derrière l'autorisation de Dieu pour manger les animaux. Je n'ai pas été confronté à ça, mais ce sont des fausses barbes. Quelqu'un qui sent que c'est pas bien de manger les animaux va se servir d'un prétexte, ça peut être la religion. J'essaie de les amener à dire quelque chose qui va les déstabiliser. Un jour quelqu'un m'a dit «manger de la viande, c'est bon pour l'environnement». On était argument contre argument, ça ne marchait pas. Je lui ai donc dit: «En fait, vous aimez manger les animaux, c'est le goût de la viande que vous aimez.» J'avais mis le doigt dessus. Le reste était un prétexte, une justification. Tant qu'on est argument contre argument, on ne peut pas gagner. Une dame m'a dit «c'est trop bon le steak», j'ai dit «c'est votre choix de manger les animaux, ce n'est pas le mien.» Eux, ont ce besoin de ramener l'animal à la viande. Il faut retourner le truc en disant: «c'est votre choix mais c'est pas le mien» et la conversation a vraiment démarré. Elle est repartie avec le guide du végétarien débutant.

 

Sophie: Les musulmans disent que c'est une obligation de tuer le mouton pour l'aïd, ce n'est pas le cas. Si on creuse, on peut trouver dans le Coran des paragraphes qui vont dans notre sens. Comment se positionner face à ce genre de discours?

 

IDB: C'est une excuse pour ne pas y aller. Il faut casser le débat et le faire formuler: «au fond, peut-être que ce que vous aimez, c'est le goût de la viande. Moi aussi j'aimais ça.»

 

Isabelle: Il m'a semblé que tu te plaçais sur le plan éthique, quand il était presque résolu et qu'il y avait des blocages. Ce serait bête de ne pas se donner les moyens d'attaquer ces blocages. Deuxième chose, l'idée de soulever la question de la viande dominante masculine est important. Je me pose la question de mon féminisme. Il y a un féminisme que je voudrais combattre, c'est celui d'atteindre l'égalité avec les hommes, de manière à dominer aussi les faibles, les précaires, les animaux. Il y a un féminisme qui serait intéressant, c'est de remettre en question la domination.

 

Dominique: Je tiens à dire combien j'ai apprécié ce topo. Je l'attendais depuis longtemps. Quand on travaille sur la psychologie sociale, on se rend compte qu'il n'y a pas besoin d'être convaincu pour changer ses habitudes. Tu essaies d'influencer mais pas de convaincre. Dans convaincre, il y a «vaincre». Il faut faire accoucher à l'autre de ces obstacles et l'aider à fournir des réponses point par point. Ta démarche est beaucoup plus efficace que la démarche qui pousse les autres à admettre qu'on a raison.

 

IDB: Il ne faut surtout pas vouloir convaincre à tout prix.

 

Dominique: Quand on veut influencer quelqu'un on ne doit pas lui dicter la motivation pour laquelle il doit le faire.

 

XX: Mon point de vue par rapport aux stratégies différentes est qu'il n'y a rien d'exclusif mais un besoin de pluralité. Nous sommes tous différents et rencontrons des personnes différentes. On aurait tout à gagner en étant en complémentarité. Il y a des aspects sur lesquels je ne communiquerai pas mais je respecte ceux qui communiquent sur cet aspect. Il faut être dans le respect mutuel.

 

Karine: Une réflexion m'est venue. Je ne comprendrai jamais pourquoi on reproche à une association de ne pas faire ce que les autres font. J'ai eu l'impression que ce que David reproche à l'AVF c'est de ne pas faire ce que font les Cahiers antispécistes, ou ce qu'on fait ici aux estivales. Si tu penses qu'un discours est complémentaire d'un autre, tu devrais accepter que la ligne éditoriale de l'AVF n'est pas celle d'une autre revue.

 

David: Avant, l'AVF se donnait une image de rassemblement des végétariens, il y a eu une ligne éditoriale d'une rigueur phénoménale sur ce qu'il faut dire et ce qu'il ne faut pas dire.

 

IDB: On ne visait pas de faire abonner les végétariens à la revue, on voulait l'adapter aux personnes pas encore végé et ça pouvait être un outil pour ces personnes-là. Un outil ouvert pour ne pas leur faire peur d'emblée. Ça explique que 80% des nouveaux adhérents ne sont pas végé. On espère que grâce à la revue, aux ateliers cuisine, ces personnes basculeraient végétariens. Du temps de l'ancienne ligne éditoriale, les végés étaient les plus difficiles à faire adhérer.

 

Pierre: Ton exposé avait pour thème: comment convaincre ceux qui sont déjà sensibles à l'argument éthique de changer leur comportement? On va mettre un terme à l'exploitation des animaux en faisant en sorte que chaque consommateur ait un comportement plus éthique. Pour les pesticides, on ne fonctionne pas comme ça. On passe par des lois, des interdictions.

 

IDB: Il faut qu'il y ait une pression du public pour qu'ils n'aient plus le choix.

 

Pierre: Pour interdire la construction d'une centrale nucléaire, on n'a pas attendu qu'il y ait un nb de gens qui boycottent EDF pour contester. Il y a deux approches pour changer les choses: l'exigence de justice et l'appel et la vertu. Aucun des fléaux qui existent dans le monde n'a été vaincu par l'exigence de la vertu. (cf. l'intervention de Pierre Sigler, mercredi)

Les associations qui luttent contre les œufs en batterie ne demandent pas aux gens d'arrêter de les manger, mais d'interdire leur vente.

 

Jérôme: Je suis assez content de ta présentation car je ne connaissais pas les blocages psychologiques et je trouve ça intéressant de les mettre à plat. Par contre, je suis partisan de l'approche politique collective. C'est plus payant de déplacer l'ensemble de la société à être végé en déplaçant la zone de confort plutôt que de convaincre une personne de vivre dans l'inconfort. Ces ressorts psychologiques sont important face à un directeur de sodexo, l'assemblée nationale... À Lausanne on a voté les menus sans viande dans les écoles, on a fait signer une pétition mais on a dû convaincre les politiques. Et là, on n'a pas pu sortir un argument éthique.

Tu dis que les arguments secondaires ne nuisent pas à la cause animale, je ne suis pas d'ac. Quand on parle d'environnement et de santé humaine, on dévalorise les animaux. On parle de l'oppresseur, de la santé du tortionnaire, on se moque de celui qui est torturé. A un certain niveau, c'est presque discréditer le message éthique.

 

Marine: Sur le sujet des religions, DDA a édité un tract qui s'appelle végétarisme et islam. Il y a aussi un guide sur Internet qu'on appelle «plaisir végétarien» et il y a un site qui s'appelle «chrétien et végétarien». DDA explique qu'il n'y a rien dans l'Islam qui oblige à manger les animaux.

 

IDB: Ça me fait penser aux OGM. Au départ, les associations ne communiquaient que sur l'aspect pollution/environnement. Ça n'a pas beaucoup marché, donc ils ont parlé des risques pour la santé. Du coup, les Français se sont mobilisés à haut niveau.

 

Yves: Ça m'a bien intéressé. Par contre, tu dis que ça ne nuit pas de parler de ces arguments. Est-ce qu'on veut rendre les gens végétariens? Pour n'importe quelle raison ou on veut faire changer la culture globale de la société? Ce ne sont pas les mêmes stratégies. Tu disais qu'on ne s'adressait pas de la même façon aux médias. Quand on passe dans les médias, on n'est pas obligé de chercher à convaincre les gens. On peut simplement casser des tabous. Tu voulais faire une campagne segmentée. Je focaliserais sur la question animale sans parler des histoires d'environnement et de santé car mon objectif ne serait pas de convaincre, mais de casser le tabou selon lequel la question animale n'est pas importante. Quand on utilise d'autres arguments, les gens l'utilisent pour nier la question animale. Quand on avait fait la brochure Nous ne mangeons pas de viande pour ne pas tuer d'animaux, des gens écrivaient pour dire: je suis d'ac, je pense que la viande est un vrai poison. Il y avait un vrai tabou sur le fait qu'on pouvait arrêter de manger de la viande pour ne pas tuer d'animaux, elle avait inventé des arguments qu'on n'avait pas mis pour mettre de côté l'argument éthique/animaux. Par rapport aux médias, il faudrait aller dans un truc éthique global quand on peut le faire, en évitant les arguments connexes.

 

IDB: Oui, il faut saucissonner pour toucher les gens. Si on prend le parti de ne parler que d'éthique, on peut se rendre compte qu'on se coupe de plein de gens. Quel est l'objectif final? Rendre les gens végés ou parler d'égalité animale? Mon objectif à moi est que les gens arrêtent de manger les animaux. Juste en face de chez moi, à 20 mètres, ils construisent un élevage industriel.