«Mon parcours et mon élevage de bovins» - compte rendu de Sara

Chantal Minier

09/08/13, 16h20
51 personnes

Présentation de Chantal par Élodie

Chantal est éleveuse. Les Estivales rassemblent tous les acteurs sur la question des animaux, ce n'est pas un événement militant. De plus Chantal n'est pas une éleveuse d'élevage intensif. Il est intéressant de rencontrer des éleveurs, de les questionner, et nous avons de la chance qu'elle soit parmi nous.

Conférence

Je ne fais jamais de conférence, je suis plus à l'aise avec les animaux.
Je voulais raconter mon parcours, il ne représente pas que moi mais un groupe d'éleveurs qui n'est pas majoritaire mais ressent les mêmes choses. Par contre, je n'ai pas pu trouver un éleveur pour présenter les choses avec moi, d'autant plus qu'une telle rencontre est une première.

Je viens de Haute Saône. Le site est une vieille ferme qui n'est plus aux normes. La majorité des élevages sont des gros hangars ; là, ce n'est pas le cas.

J'ai grandi à la ferme dans les années 70. En tant qu'enfant, on avait trois quatre km à faire à pied pour aller à l'école et aussi les corvées de la ferme, avec toute la rigueur que ça comporte. J'étais au contact des animaux tous les jours. Forcément, j'ai eu des sentiments pour les animaux. Ce que je trouvais le plus cruel était de tuer le lapin pour le manger. Quand le papé tuait le lapin, on était obligé de le manger. C'est un milieu rude et fermé.

À l'époque, on mangeait de la viande une fois par semaine. L'école ne m'intéressait pas, je séchais les cours pour aller voir les ânes dans le pré d'à côté. Je voulais travailler avec les animaux et j'ai décidé de faire une école agricole. Je pensais que ça m'apporterait quelque chose. En fait, ça n'apprend que la rentabilité de la bête et j'ai abandonné le cursus au bout d'un an. Je me suis retrouvée sans diplôme et j'ai fait des petits boulots : serveuse, bénévole dans des refuges... J'ai travaillé dans des centres équestres, des petits élevages et j'étais dégoûtée par le traitement qu'on infligeait aux animaux qui n'étaient là que pour être exploités. Dès que je croise un animal en détresse, je ne peux m'empêcher d'intervenir.

Vidéos qui montrent quelques sauvetages d'animaux : buse, coq, chevaux...

Un particulier m'a ramené une brebis, puis deux, puis trois... et on se retrouve vite rattrapée par les événements. Travailler avec les animaux demande beaucoup de temps et de patience. Il faut savoir se faire passer après. Nourrir des animaux coûte une fortune. Pour les nourrir, j'ai créé une entreprise en rapport avec eux et suis devenue éleveuse.

J'ai travaillé dans d'autres domaines car j'ai un enfant et il fallait gérer la vie quotidienne. J'ai eu plusieurs expériences professionnelles : intermittente du spectacle avec les chevaux mais c'était épuisant et j'ai passé mon permis de chauffeur poids-lourd mais je n'étais pas assez disponible pour mes bêtes donc ma solution a été de devenir éleveuse. J'ai créé mon exploitation en 2007.

Le but de mon exploitation était de conserver mes animaux déjà recueillis, ma solution a été de louer des terres et à me remettre à mon compte en tant qu'éleveuse. Je n'avais pas la possibilité d'acheter beaucoup de matériel. J'avais une grosse passion pour une race bovine, la race d'Hereford (provenant des environs de Londres), et j'ai choisi de les élever. Ce sont des animaux très sociables, exploités pour le lait. L'ouverture du lieu m'a coûté 20.000 à 25.000 €. J'ai dû payer une caution, le fermage, les assurances, le tracteur... Pour payer tout cela, j'ai travaillé de nuit comme routier. J'ai fini par travailler presque 24h/24. J'ai été hospitalisée à cause de l'épuisement.

Pour réunir la somme nécessaire à lancer une exploitation on arrive à s'arranger entre éleveurs ou avec des producteurs locaux. On échange des services pour sortir moins d'argent.

Quelques chiffres

C'est une petite exploitation : 44 hectares de terre.

Les chiffres pour la gestion de l'élevage sont très variables d'année en année. Il y a les dépenses (fourrage, frais vétérinaires, assurances, etc. au minimum 30.000 €/an) et les recettes (subventions européennes et de l'État, taurillons vendus et le RSA). Le bilan est négatif.

Je ne peux pas produire des bêtes sans en vendre. À l'heure actuelle, je n'arrive pas à tout passer comme ça. Il y a des cours du taurillon, une bête rapporte entre 600 et 2.000€ selon les saisons et la qualité de la bête. Je donne beaucoup de ma personne pour un résultat personnel négatif.

Achat des premières vaches

J'ai récupéré des vaches à un éleveur qui voulait les vendre à l'abattoir pour 1.000€ pièce. Je m'étais engagée auprès de la chambre d'agriculture pour être éleveur. J'ai acheté des bêtes une par une pour avoir un petit cheptel de départ. Combien y a-t-il d'éleveurs dans toute la France à avoir la même démarche que moi ? Je dirais 10% des éleveurs traditionnels. Les autres le font pour l'amour de l'argent plus que pour l'amour des bêtes.

J'ai aussi acheté un vieux tracteur des années 70.

Journée type

Quand on a des bêtes, il faut se lever tôt. Je me lève à 5h en hiver et à 7h en été. Je fais le tour des bêtes, voir si elles ont tout ce qu'il faut, si aucune n'est sur la route...

L'après-midi, je vais voir chaque bête pour la câliner, soigner les bobos. J'ai une centaine de bêtes. Une demi-heure par jour, je m'occupe de la paperasse. Puis, même chose que le matin.

Tous les trois mois, il faut vermifuger les animaux, une fois par an faire une analyse de sang, tailler les sabots ou les pieds une ou deux fois par an, il y a environ quinze naissances sur l'année, on ne sait pas quand ça arrive. Elles sont décalées sur toute l'année parce que je ne fais pas de planning des naissances. Chez les éleveurs en général, on fonctionne par insémination artificielle, l'animal est toujours « rempli ». Mais je suis pour une saillie naturelle. Quand le veau naît, il faut accompagner l'animal. Je donne le biberon à chaque petit, toutes les quatre heures. Il y a des mères qui font un petit mais s'en moquent, ne sont pas maternelles. Dans la nature, certains petits meurent ; dans un élevage, on essaie de sauver le plus de monde possible.

Il y a aussi un roulement au niveau de l'herbe.

Parfois des animaux sont malades, même si ça arrive peu aux miens. On n'est jamais à l'abri d'une bronchite. Je n'hésite pas à passer des heures à soigner la bête comme si c'était mon enfant. Parfois, des animaux se blessent quand ils sont en contact avec des clôtures ou parce que des gens malveillants ont lancé des bouteilles en verre sur leur terrain.

Je fais tout à la main, à l'ancienne. Je n'utilise aucun produit chimique. J'ai refusé le label bio parce que, si j'ai le label bio, je n'ai le droit qu'à un certain nombre d'antibiotiques sur les bêtes. Or, si j'ai une bête malade deux fois de suite, je ne vais pas la laisser mourir parce que je veux le label bio. Je préfère lui donner des antibiotiques. Le label bio apporte plus de maltraitance qu'un élevage traditionnel car les agriculteurs bio laissent mourir leurs bêtes malades ou les vendent à une filière non bio.

Marion : C'est intéressant ce que tu dis sur le paradoxe du bio. Le constates-tu sur d'autres aspects ?

Chantal : Ce n'est pas de la maltraitance physique mais une impossibilité de soin.

Yves : Dans les élevages bio, la limitation des traitements antibiotiques fait que des vaches meurent de maux aussi simples que des mammites.

Baptiste :Dans l'élevage traditionnel, les antibiotiques sont utilisés à des fins d'engraissement plutôt qu'à des fins de soin.

Florence :Les animaux en bio donnent le jour à des animaux qui rejoignent les circuits traditionnels, chez l'engraisseur.

Le but

Le but est de conserver les animaux recueillis. Mais j'ai choisi cette race-là car ce sont des vaches rustiques et je voulais la sortir de son utilisation habituelle. On les trouve de moins en moins dans les cheptels bovins. Ces vaches ne sont pas agressives envers l'homme. Comme elles n'étaient destinés qu'à la viande, j'ai voulu les incorporer dans des zones géographiques difficiles (montagne, marais...).

D'habitude, dans des zones difficiles, on incorpore des chèvres et des moutons pour les nettoyer. On réintroduit parallèlement des prédateurs, ce qui crée des conflits puisque le prédateur va chasser la chèvre. L'éleveur ne va pas à être content et va prendre son fusil pour tuer le loup qu'on a introduit.

Les vaches quant à elles forment des cercles et mettent tous les veaux à l'intérieur, mais aussi les chevreaux et les agneaux pour qu'ils soient protégés par les vaches.

Appel à la création d'un réseau de soutien

J'ai un but personnel en venant ici : je voudrais avoir vos idées. Je recherche de moyens de communication pour créer un mouvement ou un site qui m'aiderait à mettre davantage en application ce genre de méthode, pour sauver des bêtes d'élevage et de me mettre en relation avec les gens qui se sentent concernés.

Si vous avez des idées, contactez-moi : elevage.mc@orange.fr

Yves : Je ne peux pas soutenir en l'état car je vois qu'il y a des bêtes qui partent à l'abattoir.

Chantal : Je ne veux pas que mes bêtes partent à l'abattoir. Je vends un minimum de bêtes. Si elles ne sont pas vendues, je suis prise à la gorge. Quand elles partent à l'abattoir, je n'en dors plus la nuit.

Pierre : Le problème est-il le manque de place ou le manque d'argent ?

Chantal : Les deux. Je ne peux pas me retrouver qu'avec des taureaux car s'ils sont en majorité, ils deviennent agressifs.

Stef : Une fois sur deux, quand on exploite des animaux, c'est pour en faire des bénéfices. Dans ce type d'élevage, il n'y a pas beaucoup de mâles. Faire des élevages sans souffrance, je ne sais pas si c'est possible. Je ne l'ai vu qu'une fois, dans l'Himalaya ; l'éleveur ne tuait jamais ses animaux (sorte de bufflons), avait autant de mâles que de femelles mais comme c'était dans des conditions très rustiques il y avait beaucoup de morts donc l'élevage n'était pas exponentiel.

Typy : Le problème est que les taureaux deviennent agressifs s'ils sont aussi nombreux que les vaches ? Je pensais que, puisque tu veux vendre tes bêtes à des personnes qui ne les tueraient pas, on pourrait imaginer un système d'éleveurs qui se vendraient les bêtes qu'ils ne veulent pas tuer.

Chantal :Ce n'est pas possible car si je me débarrasse de trois bêtes, je ne peux pas en récupérer trois.

Typy :Tu voudrais donc les réintroduire dans des milieux difficiles ? Mais cela pourrait-il s'accorder avec ton statut d'éleveur ?

Chantal : Si je les réintroduis, je les vends à des éleveurs pour qu'ils entretiennent leur site et donc les animaux ne seraient plus à moi.

Isabelle : J'ai une idée toute bête, c'est de limiter les naissances.

Chantal : Dans ce cas je finirais par fermer. Si je ferme, c'est l'éleveur d'à côté qui récupère mes terres alors qu'il ne traite pas bien ses animaux.

Cécile : Est-ce qu'on peut déterminer le sexe avant pour provoquer un avortement ?

Chantal : Si on insémine, on peut avoir de la semence sexée mais je n'insémine pas car la programmation des naissances rentre dans la catégorie « élevage intensif ». Je voudrais élever des animaux pas pour la viande mais en les incorporant. J'ai des éleveurs qui m'appellent car ils cherchent des solutions comme moi.

Cécile : Ce n'est pas possible de prendre le lait ?

Chantal : Ça m'arrive si une vache a trop de lait pour la soulager.

Mathilde : As-tu déjà envisagé l'euthanasie à la naissance car c'est moins pire qu'à l'abattoir ? Je connais un éleveur de chèvres qui le fait car ça lui brisait le cœur de prendre soin de ses chevreaux et de les envoyer à l'abattoir.

Chantal : Si j'ai un élevage de trente mères, je suis tenue à produire et ne peux pas limiter les naissances car sinon je perds mon statut d'éleveur.

Florence : Si Chantal ne produit pas, on lui retire son titre d'éleveuse et c'est le paysan du coin qui récupère les terres et fera bien pire qu'elle.

Éric : Il faut réfléchir à changer de statut. Peux-tu être prestataire de services ? Tu amènerais tes vaches dans une zone à débroussailler et ferait payer ton service.

Chantal : Je perdrais les terres.

Marion : Imaginons que tu pourrais avoir une dérogation, soyons fous ! Une dérogation, c'est quelque chose qui se donne si quelqu'un n'est pas aux normes afin qu'il se mette aux normes d'ici quelques années. Si on dit que tu défends un projet qui a des justifications...

Céline : Dans le monde entier, on rabaisse les agriculteurs et les paysans et c'est important que la société se rend compte que vous avez des choses à exprimer. Tu produis pour les subventions et garder la terre. Parfois, tu es isolée dans ta zone. Est-ce que vous avez un groupe d'éleveurs avec qui tu partages tes valeurs ou tu es seule à te poser ces questions ?

Chantal : On est plusieurs en France mais il n'y a pas de regroupement. Je ne sais pas comment unir davantage les éleveurs. Si on peut créer une organisation qui va dans ce sens-là, ce serait formidable.

Clémentine : As-tu pensé au woofing ? Des gens viendraient en camping, seraient ravis de nourrir des chevreaux et au moins tu aurais une aide même si tu as de plus en plus de bêtes.

Chantal : J'ai essayé un peu mais je me suis rendue compte que c'était difficile de compter sur des personnes non professionnelles et finalement ça devenait double corvée.

Dominique : La notion de ferme pédagogique serait-elle possible ?

Chantal : Oui mais cela demande des contraintes par rapport aux bâtiments, aux normes.

Dominique : Pour les taurillons envoyés à l'abattoir, comment sont-ils abattus ?

Chantal : Les transporteurs voulaient charger les animaux avec des bâtons, des coups de trique. J'ai refusé et cherché des transporteurs raisonnables. Je ne passe plus que par des transporteurs qui ont des méthodes douces. Pour l'abattoir, c'est l'acheteur qui décide.

Olivier : En début de conférence, tu disais que tu troquais ton fumier. N'as-tu pas un surplus de fumier que tu pourrais vendre en plus ?

Chantal : Non car je n'en ai pas assez.

Olivier : Manges-tu beaucoup de viande ?

Chantal : Je n'en achète pas et je ne tue pas de bête pour cela. J'ai des poules et je ramasse les œufs et des fois quand il y a trop de coqs donc j'en donne au voisin mais au bout d'un moment je tue le coq et je le mange. C'est uniquement dans ces conditions-là que je mange de la viande. Je n'aime pas tuer pour manger.