«Sommes-nous les talibans de la cause animale?» - compte rendu de Thomas

David Olivier

mercredi 7 août 2013
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Pouvoir parler religion...

Les propositions religieuses doivent pouvoir être vues comme des faits comme les autres. La religion n'a rien de spéciale de ce point de vue, malgré la tradition de séparer les propositions religieuses d'un côté, scientifiques et éthiques de l'autre... « Dieu existe ou non » n'est pas une affaire d'intuition, de croyance, mais doit pouvoir être discuté comme n'importe quelle proposition physique.

« Dieu n'existe pas » : je le crois, mais n'en fait pas une affaire d'identité personnelle.

Les questionnements de la religion, en soi, sont tout à fait légitimes.

Problème spécifique aux religions orthodoxes (au sens de « qui font de la croyance un impératif », position bizarre, erronée et anormale, que nous avons intégré du fait de 2000 ans de christianisme) : la croyance est une obligation. C'est à cause de cette orthodoxie intégrée que nous sommes traités de « talibans », du fait de l'attention portée aux croyances plutôt qu'aux actes.

Cependant ne pas faire de l'orthodoxie en miroir (blasphème...), ne pas faire de la non-croyance en dieu un impératif. On peut parler des faits abordés par les religions sans haine, sans attaques, sans blasphème.

Croyance et liberté

Sommes-nous libre de croire ce que nous voulons ?

À l'interpellation « ne m'obligez pas à pensez comme vous » on répond souvent « faire du mal à autrui n'est pas dans le domaine de la liberté ». Réponse juste, mais qui néglige la question : lorsque nous parlons d'imposer des actes, pourquoi nous répond-on en défendant la liberté d'opinion ?

D'autre part, caractère démesuré de l'accusation : « taliban = exécution pour « adultère », voile, mariage forcé... »
vs. Restreindre le droit des gens de manger ce qu'ils veulent. Comment expliquer cette démesure ?

Deux remarques :
1/ « Croire » n'est pas un mot uniquement religieux.
2/ Sommes-nous libre de croire ce que nous voulons ? Ce que je crois résulte d'une recherche et s'impose à moi comme résultat de cette recherche. « Est-il juste de manger les animaux ? » Je cherche des arguments et poursuit une réflexion éthique.

Croire n'est pas un acte volontaire. Personne ne peux m'imposer de croire... y compris moi-même. Je ne suis pas « libre de croire ce que je veux ». Ce n'est donc pas le fondement de la liberté d'expression.

Digression : Trois raisons de « croire une chose » : A/ raisons démonstratives (raisonnement logique) B/ raisons causales (parce que les choses m'ont toujours été présentées ainsi : il agit ainsi parce qu'il est catholique...) C/ raisons prescriptives (je crois parce que c'est mon intérêt de croire une chose : ça me rend plus heureux etc., ce qui revient à « prendre ses désirs pour des réalités »). Seules les raisons de type A peuvent s'invoquer à la première personne, les autres relèvent d'un dysfonctionnement.

Nous ne sommes pas des êtres rationnels. Et l'unité de la conscience est une fiction : une part de nous-même peut en manipuler une autre.

Exemple du pari de Pascal (1670) : Nous n'avons pas de raison de type A de croire en Dieu. Cependant nous avons des raisons de type C : croire en Dieu nous est avantageux. Problème : comment s'amener à croire en Dieu, alors que l'examen objectif des données ne démontre pas son existence ? Solution : se manipuler soi-même, en « parieur cynique » : « vous voulez vous guérir de l'infidélité (…) suivez la manière (…) en faisant tout comme s'ils croyaient (…) naturellement même cela vous fera croire et vous abêtira ».

Une idée familière si étrange... 1/ Pourquoi s'offenser de ce que quelqu'un (moi) ne sache pas que j'existe (ex. Dieu) ? 2/ Pourquoi s'offenserait-on de ce que quelqu'un pense du mal de nous, sans bien nous connaître ? Pourtant ces idées sont soutenues par le christianisme et l'islam.

Logique du christianisme :
- les humains sont pêcheurs parce qu'ils ne respectent pas la loi (juive).
- « qui vole un grain vole un pain » : désobéir à Dieu, même un peu, c'est justifier de lui désobéir.
- Nous sommes donc infiniment pêcheurs. Nous ne pouvons nous racheter par nos actes.
- Seul un événement infini peut sauver les humains : le sacrifice de Jésus-dieu.
- La seule condition est spirituelle : croire en l'existence de ce Jésus-dieu et en son sacrifice.

Ceci dit : Le débat a fait rage sur la valeur salutaire ou non des « œuvres ». Mais toutes les déclinaisons du christianisme voient en la croyance la condition la plus importante du salut. Ce fait lui-même est extraordinaire : nous avons le devoir de faire quelque chose (croire) qui n'est pas un acte volontaire.

Contexte historique : Le rejet des prescriptions juives. Les prescriptions juives sont matérielles, ne sont pas « intérieures », donc pas « spirituelles ». (Ce rejet des prescriptions juives s'est cristallisé sur le comportement alimentaire.) Les actes importent uniquement comme témoignages de la foi.

Ex. De la viande halal : en manger retire pour certains chrétiens la valeur de témoignage de la foi au refus des prescriptions alimentaires. Le fait de « manger de tout » témoigne qu'on n'accorde aucune valeur aux prescriptions religieuses matérielles du judaïsme et de l'islam, alors que « seule la foi sauve ».

Contradictions : le salut par la foi fonctionne quand on pense que la fin est proche, pour une religion non institutionnalisée ; durée, institutionnalisation → il faut bien que la religion prescrive des actes, d'où oscillations entre la « foi seule » et « foi + œuvres ». Protestantisme correspond à un retour à la foi seule.

Il reste extraordinaire qu'un système de pensée, quel qu'il soit, puisse faire de « croire » une prescription ; comme si la croyance était volontaire.

Erreur de confondre religion et foi : il existe des religions orthopraxes.

Puisque croire n'est pas un acte volontaire, comment justifier de stigmatiser ceux qui ne croient pas ? Le moyen : « les non-croyants ne sont pas sincères ; en réalité ils croient, mais ne veulent pas le reconnaître » : doctrine de la mauvaise foi.

Autre conséquence : l'éthique devient une éthique de l'intention : la seule chose bonne c'est la volonté qu'on a eu. Ex. la souffrance de la gazelle malgré l'innocence du lion ; cependant les gens n'étendent pas ce raisonnements aux tremblements de terre...

L'islam : héritier du judaïsme et du christianisme ; premier des cinq piliers = croire ; donc religion essentiellement orthodoxe.

La libération animale n'est pas une religion... orthodoxe

En ce sens que la chose importante n'est pas les intentions, mais le résultat. L'abolition de la viande n'impliquerait pas que tout le monde soit végétarien. Notre but n'est pas d'imposer une croyance, mais d'éviter la souffrance des animaux. Diffuser les idées antispécistes est important par rapport au but... mais pas important en soi.

Cependant nous ne sommes pas entièrement rationnels : au lieu de mettre nos actes en accord avec nos idées, nous mettons nos idées en accord avec nos actes.

Retourner l'argument : Par l'obligation de manger les animaux depuis l'enfance, le carnisme nous impose une croyance (mettre nos idées en accord avec nos actes). L'interdiction de manger les animaux sera une libération des esprits. Les gens ne pourront plus manger les animaux, mais pourrons y réfléchir librement, sans que leur opinion soit conditionnée par des actes.

Que répondre à l'accusation?

« Intégrisme, talibans, sectes... »

Mettre d'abord en relief le caractère démesuré de l'accusation.

Cependant relève d'une logique différente de la nôtre : nous ne voulons pas mettre nos idées en accord avec nos actes, nous voulons prendre les animaux au sérieux.