« Sur la politisation du mouvement animaliste, avec l'exemple autrichien et néerlandais » - compte rendu de Sara

4 août, 10h

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Je suis militant depuis six ou sept ans avec l'association DDA et je fais une thèse sur la répression des droits des animaux dans le monde (?). J'ai publié Militantisme, politique et droits des animaux. Je me suis intéressé à ce sujet car je pense qu'il est nécessaire pour le mouvement français de se politiser. La perspective de changer les mentalités et les comportements individuels n'est pas suffisante. La plupart des gens ne mettent pas forcément en pratique leurs convictions quand elles influent sur leur consommation. L214 a fait un sondage sur le foie gras et presque la moitié des sondés se disaient opposés au gavage alors que 5% seulement boycottaient le produit.

Pourquoi avoir étudié la situation dans ces deux pays ?

Je voulais réfléchir à la politisation du mouvement en France en se basant sur ce qui a été mené dans d'autres pays. À la base, je croyais que la politisation du mouvement devait nécessairement passer par la création d'un parti animaliste. Aux Pays-Bas, un parti animaliste a obtenu des élus au gouvernement. Est-ce que cela a changé des choses ? Est-ce que ça a poussé les autres partis à s'intéresser à la question animale ?
Ils n'ont que deux députés sur 150 mais les Pays-Bas est un rare pays où il y a une réelle proportionnalité.
L'Autriche, il y a quinze ans, était un pays en retard sur sa législation par rapport aux animaux et le mouvement était modeste. C'était assez comparable à ce qu'est la France aujourd'hui.

C'est pour cela que j'ai choisi ces deux pays. Mon étude est basée sur des entretiens menés avec des militants de terrain...

Quelques considérations idéologiques

Les welfaristes ne remettent pas fondamentalement en cause l'exploitation animale mais cherchent à réformer cette exploitation et à limiter les souffrances des animaux exploités par l'homme.
Les abolitionnistes remettent en cause l'exploitation animale dans son ensemble.
Au sein des welfaristes, il y a les anti-abolitionnistes revendiqués (ex : HSUS aux USA) ou non mais qui ont un discours qui va à l'encontre de l'abolition (ex : groupes ou associations qui promeuvent la viande biologique ou parti animaliste qui soutiendrait des lois qui renforcent l'exploitation animale) ; il y a aussi des welfaristes neutres dont le discours et l'activité est compatible avec les actions abolitionnistes.
Il existe les abolitionnistes fondamentalistes qui considèrent que toute réforme est mauvaise (ex : Francione) qui pensent que si une réforme est mauvaise, il faut l'abolir ; il y a aussi les abolitionnistes réformistes qui pensent qu'il faut réformer l'exploitation pour petit à petit inscrire les animaux dans la sphère des considérations politiques et éthiques. Selon David Chauvet, les fondamentalistes font une « prise d'otage », selon Martin Balluch, les réformes affaiblissent l'exploitation animale. De fait, les fondamentalistes se retirent d'une démarche politique.

Historique des mouvements dans ces pays-là

Dans ces trois pays (France, Autriche et Pays-Bas) une première association se fonde au XIXe siècle sur le modèle de la RSPCA.
Au Pays-Bas, le mouvement s'est politisé dans les années 90, en 2002 création d'un parti politique et de la coalition pour les animaux en 2002.
En Autriche, à la fin des années 80, le mouvement a pris de l'ampleur. Il s'est politisé dans les années 2000. Quand VGT a été créée, ils se sont rendus compte que la question animale n'était pas une question de société, qu'il fallait que les mentalités changent pour pouvoir obtenir des réformes. Donc ils se sont focalisés dans les années 90 sur l'information, la communication. C'est après que le mouvement s'est politisé et qu'ils ont obtenu des réformes assez impressionnantes. Il y a un parti animaliste depuis 2008 mais il est anecdotique.

Le mouvement est très bureaucratisé avec des structures qui ont des fonds, des salariés, etc. Il y a un soutien de la population fort aux Pays-Bas par rapport à chez nous. Plus d'un million de personnes sont adhérentes d'une association animaliste (alors qu'il y a seize millions d'habitants là-bas !). Les associations s'autocensurent : quand il y a des employés à payer, il faut s'assurer des entrées de fonds et ne pas froisser les adhérents.
En Autriche, la structure du mvt est plus proche de ce qui se passe en France. Il y a plusieurs groupes mais le mouvement est uni, les groupes montrent une plus grande cohésion, s'assurent du soutien des gros groupes welfaristes. Quand VGT allaient filmer dans les élevages, ils libéraient certains animaux. La coopération entre les groupes abo et welfaristes a fait que certains groupes welfaristes se sont unpeu radicalisés. Au Vegfest autrichien, tous les groupes sont invités à condition qu'aucun document ne soit anti-abolitionniste. Certaines associations qui étaient très modérées à la base viennent avec des tracts qui font la promotion du végétarisme, etc.

Les stratégies

En Autriche, c'est très confrontationnel. Comme le parti radical est très opposé à leurs idées (parti de chasseurs, monde rural...) ils ont obtenu de tous les partis de créer un poste de porte-parole de la question animale. Le parti radical est le seul à avoir refusé. Donc ils ont pris ce parti pour cible et ont amené les autres partis à se positionner avec eux contre le parti des conservateurs. Les partis politiques ont réalisé que c'était une opportunité pour eux. Ils ont harcelé le parti conservateur sur tous les fronts : sitting, incursions médiatiques, etc. À travers cette omniprésence médiatique, ils ont réussi à faire de la question animale une question politique.
C'était important d'avoir des rapports avec ces politiques pour savoir les enjeux de pouvoir dans les sphères politiques. Depuis le début, les Verts ont soutenu le mouvement animaliste. Ils ont même proposé à Martin Balluch d'être candidat à leurs élections alors qu'il était en prison (2008).
Ils ont obtenu plusieurs victoires : interdiction des cages pour les poules pondeuses et lapins, dans chaque lander il y a un avocat des animaux qui peut poursuivre les individus et entreprises au nom des animaux, changement dans la constitution qui inclut les animaux, interdiction de la vente des chiens et de chats, de l'euthanasie dans les refuges, de l'expérimentation sur les primates...

Aux Pays-Bas, le parti pour les animaux ne se veut ni de gauche ni de droite mais qui semble quand même plus à gauche. Officiellement, il se positionne comme welfariste mais en interne ils sont abolitionnistes. Jamais ils ne voteront de loi favorisant l'exploitation animale.
Le mouvement néerlandais a fait beaucoup usage des célébrités. En 2002, lors de la création du parti, les gens étaient sceptiques, il y avait peu de soutien. Pour se donner une légitimité, ils ont fait appel à des personnalités intellectuelles et les ont mis sur leur liste de candidats. Cela a eu un gros impact, ils ont eu une couverture médiatique importante.
Quand le parti s'est présenté en 2003 aux élections, ils n'ont pas obtenu d'élus mais certains partis ont adapté leur discours mais n'ont rien changé en ce qui concerne les votes au Parlement. En revanche, dès que le parti animaliste a eu des représentants au Parlement, cela a influencé les votes des autres parti. Par exemple, les Verts votaient toujours défavorablement aux animaux et cela a changé complètement après l'entrée en scène du parti animaliste. Le parti a obligé les politiques à traiter de certaines questions. Par exemple, les députés animalistes ont déposé une question parlementaire où ils évoquaient les conséquences écologiques de l'élevage. Le gouvernement a nié en bloc ces conséquences. Le parti a élaboré un film s'appelant Meat the truth qui a été projeté devant les parlementaires et qui a eu un succès international dans des festivals. Le gouvernement s'est entêté et a commandé un rapport indépendant sur la question, rapport qui a confirmé les positions du parti animaliste. Du coup, le parti animaliste a été crédibilisé et la question a été médiatisé. Un parti en-dehors du Parlement n'aurait pas pu le faire.
Le parti animaliste a fait une proposition de loi pour interdire l'abattage des animaux sans étourdissement. C'est devenu un gros sujet médiatique et politique, cela a ouvert le débat.
Le fait d'être au gouvernement permet de négocier le soutien d'autres partis sur certaines propositions de loi. Souvent, des lois sont passées car des partis ont négocié avec eux.
Le parti animaliste se fait le relai des associations au Parlement.
Il n'y a toutefois pas encore eu de succès majeur mais on peut s'attendre à voir des succès arriver dans un futur proche car le parti a réussi à inverser le rapport de force. Ils ont obtenu l'interdiction de la production de fourrure de la plupart des animaux, l'interdiction des animaux sauvages dans les cirques, il y a aussi un nouveau projet de loi sur l'abattage rituel qui devrait passer.

Tous les interviewés ont dit que cela avait eu beaucoup d'impact sur l'appréhension de la question animale dans la population néerlandaise.

Les stratégies sont moins basées sur la confrontation (cf. Autriche) mais beaucoup plus sur le compromis, cela a un rapport avec l'histoire du pays.

La France

Les handicaps de départ : beaucoup de gros lobbies, une culture humaniste anthropocentriste et un mouvement peu uni alors que les opposants sont plus unis : c'est le seul pays où les industries animale ont un lobying commun (le comité Noé).
Mais la situation commence à changer. Une certaine élite médiatique et intellectuelle commence à s'emparer du sujet. On est probablement dans la phase où les choses changent et où il faut agir politiquement.
Créer un parti en France ?
On n'aurait pas de député au gouvernement et c'est cela qui a un impact concret mais cela pourrait permettre de mettre la question animale sur le tapis.
En France, le système majoritaire renforce le vote utile. De plus, il faudrait déjà 500 signatures d'élus pour se présenter à l'élection présidentielle. Certains partis importants ont du mal à les obtenir. Les seules élections possibles seraient les européennes car il y a une proportionnelle. Cependant, il y a aussi le risque de diviser le mouvement. Cela dit, l'exemple autrichien montre que le parti politique n'est pas un pré-requis pour influer politiquement.
Les stratégies autrichiennes peuvent marcher chez nous. Cela dit, les deux seuls partis susceptibles d'accéder au pouvoir (PS et UMP) sont complètement réfractaires à nos idées et infiltrés par des lobbies.
Il est important d'avoir un mouvement uni, d'entretenir des liens avec les politiciens sympathisants. Il faudrait utiliser les ressources financières des grosses associations en échange de ressources militantes. Il faudrait créer une structure de lobbying commune. Ça permettrait une plus grande réactivité du mouvement car l'info serait centralisée. Par exemple, si un décret sortait (comme le décret cantines en 2011) on pourrait s'organiser rapidement et se mobiliser rapidement, avoir déjà les contacts avec les politiques qui pourraient agir là-dessus et avoir une synergie plus grande.
La coalition autrichienne VÖT fonctionne : aucun des membres de VÖT n'est membre d'autre association, cela évite certaines querelles.

Conclusion

Tous les mouvements sociaux ont besoin de succès initiaux pour créer une dynamique vertueuse. Plus on a de succès, plus on a de ressources militantes et financières. On a besoin d'une action institutionnalisés et des actions de terrains. Il faut trouver des objectifs communs réalisables à court-terme.

Débat

Une participante : Il existe un réseau, animalvie, qui fédère les associations.

David : Il n'y a pas que les élections européennes, il y a aussi les élections locales auxquelles un parti politique pourrait se présenter. J'ai envie de créer un parti, pas forcément avec les mêmes perspectives, plutôt pour concrétiser l'idée que la question animale est une question politique.

Melvin : Récemment, un parti animaliste s'est créé en France : le MCPA.

Un participant : Avez-vous créé un groupe de travail qui réfléchit à l'ensemble de renseignements à l'échelle européenne pour réfléchir à une stratégie ?

Melvin : Je me suis rendu compte au fur et à mesure des interviews que dans les autres pays il y avait beaucoup plus de communication avec les autres pays.

Une participante : On peut fixer une date et envoyer un courrier à de grandes associations pour décider d'une action sur un point précis.

Brigitte : On n'a pas de légitimité à agir aux estivales. Il n'y a pas de représentant de grosses associations. Démarcher de grosses associations comme la SPA, la FBB, c'est très compliqué. Il nous manque de la légitimité d'agir sur ce plan-là ou arriver avec un projet bien bâti qui nous donnerait une légitimité.

Isabelle : Dans une situation comme le décret-cantines, avoir une structure indépendante qui sait créer des liens avec les autres associations aurait pu nous aider. Quand on voit les querelles de clocher dans les associations, on se pose la question : pourquoi ne pas essayer ? Animalvie avait tenté quelque chose. Le frein est qu'un des membres était dans un parti politique.

Brigitte : Mais les associations sont petites, et les relations interassociations sont également difficiles.

Un participant : Le comité Noé, ce n'est que quelques personnes payées qui vont monter un module de communication pour contrer toutes les idées de la question animale. La légitimité ne vient pas du nombre mais de la revendication.

Melvin : Ce serait possible d'avoir quelques groupes qui se réuniraient pour aller voir des grosses associations.

Sébastien : Au niveau européen il y a « Euro Group for Animals », ils jouent le rôle de secrétariat du groupe Protection Animale au sein du Parlement européen. Ils ont atteint un niveau énorme. Ils font une veille juridique qu'ils font redescendre au niveau des associations. Ils font des plénières une ou deux fois par an, ça se passe à Bruxelles, dans une super salle avec des traductions et des grosses associations qui participent. Pour être membre, il faut être une grosse association animaliste avec un gros budget.
Concernant la légitimité qu'évoquait Brigitte cela est très important. Des personnes sont très motivées et créent une fédération mais les associations ne veulent pas se mettre derrière cette fédération inconnue. Et finalement, le projet qui devait fédérer tout le monde laisse place à une association parmi d'autres.

Isabelle : Concernant le projet dont je parle, il s'agit d'un groupe indépendant qui va proposer un projet spécifique.

Un participant : Est-ce que L214 pourrait lancer l'idée d'un groupe de travail ? Il faudrait travailler à 5-6 personnes.

David : Les Estivales en tant que telles sont neutres. Elle n'a pas de position sur le fait de faire un groupe de travail ou non. C'est aux participants aux Estivales de se réunir.

Sébastien : L214 au départ c'est Stop Gavage qui est né aux Estivales avec le but de commencer une campagne gagnable qui était d'abolir le foie gras. Maintenant qu'on sait comment ça fonctionne, je trouve qu'on était naïf. Aujourd'hui, je ne vois pas quel projet peut être gagnable.

Melvin : L'idée était plutôt de trouver une plate-forme, une structure qui centralise l'information, qui fasse le lien entre les politiques et les associations, etc.

Isabelle : Un premier projet pourrait ne pas être en rapport avec l'alimentation carnée et concerner les chiens et les chats. Ça permettrait de toucher des grosses associations.

Élodie : Il faudrait trouver quelque chose qui fédère des grosses associations. Dans d'autres pays, ils ont interdit les cirques avec des animaux. Ça peut être un projet.

Une participante : En Autriche, un avantage économique a fait pencher l'état pour l'interdiction de la vente des chiens et des chats car cela signifiait une perte d'emploi mais de l'autre côté cela limitait les abandons qui sont ensuite pris en charge financièrement par l'État.

Un participant : Il faudrait créer une étude sur l'état de la cause animale en France et la faire passer à des associations, comme une étude de marché dans le monde de l'entreprise.

Hélène : Ce n'est pas forcément bien de reprendre les méthodes de marketting.

Brigitte : Ça voudrait le coup d'identifier les routes à prendre.

Un participant : Nos ennemis utilisent ces méthodes.

Véronique : Ce serait bien de le faire mais au niveau européen.

Sébastien : Europe Group le fait mais on ne peut pas y avoir accès car il faut en faire partie.