«L'éthologie des poissons» - compte rendu de Sara

Pierre Sigler

06/08/13 à 15h
58 personnes

Introduction

J'ai classé les thèmes du plus évident au plus étonnant.

Les poissons sont un groupe paraphylogénétique. Pour qu'un groupe soit phylogénétique, il que tous ses membres aient un ancêtre commun et qu'il comprenne tous les descendants de cet ancêtre commun.

Les poissons sont très diversifiés : qui contient les lamproies (vertébrés sans mâchoire), les raies, les requins, les dipneustes...

Il y a des poissons pisciformes comme la truite, applatis comme la sole et la raie, serpentiformes, comme l'anguille, globulaire comme le fugu, en forme de caillou comme le poisson-pierre. On compte entre 28 000 et 32 000 espèces. Pour montrer leur diversité, on en trouve partout, même à plus de cinq mille mètres dans les lacs tibétains et huit mille mètres sous les mers. On en trouve à diverses températures, de -1,9°C (congélation de l'eau de mer) jusqu'à 50°C (dans des sources chaudes). Ils ont une taille variée. On observe des dimorphismes sexuels extraordinaires.

Pendant longtemps, les poissons ont été peu étudiés d'un point de vue cognitif. On était influencé par la scala naturae d'Aristote et leur absence d'expression faciale et de cris les a desservis.

Dès 1991 à 2010 les publications sur l'éthologie cognitive des poissons a été grandissante.
L'organisation cérébeale des poissons est différente de la nôtre. Leur développement cérébral est inversé, les zones qui sont chez nous à l'extérieur sont au milieu de leur cerveau.

La sentience

Le fait que les poissons ressentent la douleur n'était pas évidente pour le grand public il y a encore peu de temps. On a fait une expérience. On a injecté dans la lèvre de truites soit du venin d'abeille soit du vinaigre et on la met dans son aquarium. Leur respiration augmente, elle se désintéresse de la nourriture. Certaines de celles qui ont eu le vinaigre compressent leurs lèvres contre les parois de l'aquarium.

Pour prouver que les truites perçoivent bien la douleur de manière consciente, ils ont mis sur pied une variante ingénieuse. Si la douleur perturbe une tâche requérant un accès conscient à des informations, alors la douleur est perçue consciemment. Les truites sont généralement très craintives et évitent les objets nouveaux, du moins au début, le temps qu’elles se familiarisent avec.
On endort les truites. Vinaigre ou eau salé. On place dans leur aquarium une tour en lego. Les truites blessées évitent beaucoup moins la tour que les truites témoins. Elles ne montrent presque pas de comportement d’évitement.

On refait l’expérience avec morphine dans les injections -> même comportement dans les deux groupes.

Expérience similaire en Russie avec chocs électriques et tramadol.

Il y a beaucoup d'études sur la peur pour les poissons. Il y a eu une étude intéressante sur les émotions sociales. Les truites sont des animaux très sociaux et aiment la compagnie de leurs semblables. Les deux tiers de l'aquarium est sûr mais dans un tiers on fait passer des décharges électriques de faible intensité qui sont déplaisantes. Adjacent à la partie électrifiée, il y a un aquarium. Quand l'aquarium en face est vide, elles évitent la zone électrifiée. Quand il y a une truite dans l'aquarium adjacent, les truites affrontent la zone électrifiée pour être en compagnie de leurs congénères. Ce n'est pas le cas des poissons rouges qui sont des animaux assez solitaires.

La mémoire

La mémoire spatiale doit être mise à jour régulièrement. Les expériences de base sur la mémoire spatiale des poissons consiste à les mettre dans un labyrinthe.

Les gobies sont des poissons qui vivent dans des mares. À marée base, la mer se retire et les poissons vivent dans les flaques. Quand les oiseaux essaient de les manger, ils sautent dans des mares adjacentes. Ils mémorisent la topographie des lieux à marée haute et devinent quels sont les endroits qui sont remplis d'eau et peuvent sauter de flaques en flaques. On a fait des expériences en créant des bassins artificiels. Il n'a fallu qu'une marée haute pour que les poissons mémorisent la topographie des lieux.

Dans une autre expérience on a capturé des poissons sauvages et on les a mis loin de leur lieu de vie et on a constaté qu'ils retrouvaient leur chemin jusqu'à 22 km. Dans une variante, ils retrouvent leur chemin après 6 mois de captivité.

La personnalité

On a l'impression que chez les poissons, tous les individus ont des comportements semblables. Dans beaucoup d'études, les poissons se comportent avec une constance qui permet de déduire leurs traits de personnalité : timide ou hardi, proactif ou réactif... Cela reste des échelles schématiques. Les chercheurs essaient de trouver des éléments objectifs. Parfois vagues. Un poisson ne va pas s'approcher d'un nouvel objet. Il peut avoir peur d'un nouvel objet mais aussi manquer de curiosité.

Reconnaissance individuelle

Étant donné que les individus sont différents physiquement et psychologiquement, on peut s'attendre à ce qu'ils reconnaissent les individus qui vivent avec eux. C'est le cas. Beaucoup sont des animaux sociaux qui vivent dans des groupes stables où tout le monde se connaît. Ils utilisent beaucoup l'odeur car l'eau est un très bon solvant. On observe une préférence pour les individus familiers mais aussi selon les comportements. Dans le cadre d'une inspection de prédateur (aller examiner une menace), un individu coopératif prend des risques, va aller de l'avant... Les épinoches choisissent d'aller inspecter avec des individus coopératifs.

Les réseaux sociaux

Les poissons nagent de façon synchronisée, on appelle ça le schooling, en anglais.

Des chercheurs, en observant les affinités entre les individus (propension à interagir, à nager ensemble...) ont tracé les réseaux sociaux de groupes de guppies.
Comme les poissons vivent dans des environnements très sociaux, ils vont apprendre des autres en observant leurs congénères.

L'apprentissage social

Quand ils voient un prédateur, ils communiquent les signaux de menace au groupe et le groupe cesse son activité.

Les guppies capturés dans une zone pauvres en prédateurs ne modifient leurs comportements que s'ils sont en binôme avec un individu venant d'une zone où il y a de nombreux prédateurs. Ils apprennent à son contact.

On a également appris à des poissons à s'enfuir d'un filet. Quand on fait rencontrer des poissons naïfs avec des poissons entraînés, quand la situation de fuite s'impose, les poissons naïfs suivent la même route que les poissons entraînés.

Toutes ces études montrent que les poissons sont parfois assez conformismes.

Les poissons sont plus attirés par les poissons qui ont été séduits par un tiers.

Les poissons vivent en groupes hiérarchisés avec un système de dominant/dominé. Ils cherchent à éviter tout combat inutile. En bref, ils sont capable d'inférer, par l'opération logique « d'inférence transitive », une hiérarchie du plus fort au moins fort en observant certains combattre avec certains. Si A gagne sur B, B sur C, C sur D, D sur E, ils en induisent que A est plus fort que B, C, D, E ; B plus fort que C, D, E, et ainsi de suite.

Pour conclure sur l'importance de l'apprentissage social, 95% des poissons d'élevage réintroduits en milieu naturel meurt dans les deux semaines.

La coopération

La coopération sociale se manifeste de différentes manières.

Dans les récifs coraliens, des poissons, les labres nettoyeurs, proposent à d'autres de leur faire la toilette. Ils mangent les ectoparasites, les peaux mortes, les restes de nourritures coincés entre leurs dents. Il y a un échange : du bien-être contre de la nourriture. Les labres demeurent dans un endroit précis connus des autres poissons, qu'on appelle des stations de nettoyage. Dans une station il peut y avoir jusqu'à 2000 interactions par jour. Ils proposent également des massages qu'ils pratiquent avec leurs nageoires, ils caressent le dos du client, soit pour les convaincre de venir se faire nettoyer, soit pour calmer un « client » qui bouge trop. Les massages font baisser le taux de stress (selon des analyses sanguines). On parle de machiavélisme car les labres ont une préférence pour le mucus, le gel insoluble qui rend plus glissants les poissons et les protège des infections, agressions chimiques, etc. Au départ, leurs ancêtres étaient des parasites qui mangeaient le mucus, d'où leur goût immodéré pour cette substance. Les clients n'aiment pas qu'on les morde et qu'on leur gratte avec les dents leur mucus.

Ils ont trois sortes de clients :
les prédateurs : ils mangent le labre s'ils ne sont pas contents. Les labres ne leur mangent pas le mucus, leur prodigue beaucoup de massages.
les résidents n'ont à disposition qu'une station de nettoyage. Eux punissent le nettoyeur s'ils ne sont pas contents de leur service. À la visite d'un résident qui les a déjà tancés, les labres sont très conciliants.
les visiteurs : les relations sont complexes. Les visiteurs se déplacent beaucoup donc on peut abuser un peu d'eux.

Quand un labre toilette un poisson, il y a des clients qui voient ce qui se passe. Les poissons nettoyeurs sont sensibles au fait d'être observés car ils sont meilleurs quand ils sont observés.
Mais dans le détail, ils ne font pas d'efforts particuliers quand l'observateur est un résident, car c'est un client captif. Par contre quand l'observateur est un visiteur, ils fournissent un excellent service pour les convaincre de venir chez eux.

Les labres sont des hermaphrodites successifs. Une troupe de labres sont un gros mâle avec des femelles. Le mâle a tendance à chasser la plus grosse des femelles car elle peut devenir un mâle et prendre sa place. Quand ils nettoient à plusieurs, si la femelle mord les clients pour avoir du mucus, le mâle la chasse ou la frappe.

Un autre exemple de collaboration est la chasse. Les maquereaux chassent en période reproductive. Ils recrutent une équipe quand ils décident de chasser. Ils se répartissent les tâches : un disperse le banc, l'autre rabat les proies, un groupe est en embuscade... C'est une stratégie complexe.
Les proies ont aussi des stratégies complexes. Elles évitent les zones à risque aux heures à risque, envoient des binômes qui partent inspecter les menaces éventuelles , planifient des routes de fuite, les anciens guidant les jeunes...

Le mérou poursuit ses proies à la vitesse et non pas en embuscade. Quand une proie du mérou se réfugie dans un corail, le mérou va chercher de l'aide, il va voir une murenne, l'emmène à l'endroit où se cache la proie et l'anguille va à la recherche de la proie. La moitié du temps, l'anguille fait sortir la proie qui tombe dans les griffes du mérou, l'autre moitié, la l'anguille mange la proie. C'est leur méthode de partage.

Conclusion

Il n'y a pas lieu de différencier les poissons et les vertébrés terrestres d'un point de vue des capacités mentales. Il y a très peu d'études sur les mécanismes psychologiques qui sous-tendent les comportements. Par exemple, on ne sait pas si la mémoire contextualisée est la mémoire épisodique comme chez les êtres humains ou si les poissons utilisent des mécanismes plus simples mettant en jeu l'horloge interne et la luminosité. Pour l'intelligence machiavélienne, on ne sait pas si les labres agissent parce qu'ils se basent sur le simple comportement des clients ou s'ils ont une théorie de l'esprit, c'est-à-dire s'ils infèrent de leur comportement des croyances et des intentions.

Débat

Marion : Pourquoi ne pas les disséquer et observer qu'ils sont fait comme nous au lieu de les torturer lors d'expériences ?

Pierre : Chez les éthologues il y a beaucoup de sceptiques, qui admettent la nociception mais niait la perception consciente de la douleur (la souffrance, donc). Ce genre d'études a permis à la communauté scientifique de s'accorder sur le fait que les poissons ressentent bien la douleur.

Yves : Y a-t-il eu des études sur les gros poissons qu'on mange ?

Pierre : J'ai parlé des maquereaux, des truites... Mais je n'ai pas sélectionné seulement les poissons qu'on mange. Il y a beaucoup de travaux sur les saumons, leurs stratégies d'évitement des prédateurs.

David : il faut rappeler que vendredi matin, il y a la conférence de Fish Count qui sont très welfaristes, ils appellent à des méthodes d'abattage moins douloureuses. Ce qui se passe en mer est une horreur sans nom, si les poissons au lieu d'agoniser pendant des heures, étaient assommés rapidement, cela amoindrirait la somme de douleur.

Pierre : Pour ceux pour lesquelles j'ai trouvé l'info, les chercheurs qui prônent la réduction de la souffrance des poissons en mangent.

Tipy : On essaie parfois de réduire la souffrance pour que la viande soit meilleure.

Brigitte : À l'inverse, dans certains pays, on fait souffrir les animaux pour que la viande soit meilleure

En France et dans plein de pays, on avait jusqu'à il n'y a pas longtemps plein de méthodes traditionnelles pour faire souffrir l'animal avant de le tuer parce qu'on pensait que la viande était meilleure.

Pierre : Les éthologues utilisent cet argument mais selon une éthologue les éleveurs de poissons sont conscients du problème éthique que pose leurs pratiques.

David : Peut-être que les choses que tu as dites sur les poissons dans ta conférence ne sont peut-être pas transférables d'une espèce à l'autre.

Pierre : Oui, j'ai généralisé faute de temps mais j'ai averti dans l'introduction que le groupe « poissons » est très diversifié.

Brigitte : Des études récentes de l'EFSA donnent des conseils pour élaborer les directives et les règlements de l'UE sont faites sur les poissons. Dans un moment, on verra peut-être des règlements pour limiter la souffrance des poissons

Thomas : Le terme « poissons » n'a plus d'existence scientifique depuis quelque temps.

Yves : Certains poissons sont plus différents entre eux que certains poissons et les humains.

Tipy : La définition des groupes paraphilogénétiques est de ne pas avoir d'existence scientifique.

Pierre : Il faut définir un groupe par des caractéristiques qu'il a et pas par des caractéristiques qu'il n'a pas.

Christophe : Depuis peu, la classification se fait par l'ADN. L'ADN du champignon est assez proche de l'ADN humain. Les végétaux et les animaux ne sont pas forcément si séparés qu'on pourrait le penser. L'apport de la génétique aurait tendance à brouiller encore plus des pistes.

Pierre : On a créé une nouvelle classification, la cladistique, qui est en constante évolution. L'ancienne classification se fondait sur l'apparence. D'où l'exclusion des oiseaux du groupe des reptiles, dont l'ancêtre commun a pour descendant les oiseaux, qui d'ailleurs sont des dinosaures.

Céline : Y a-t-il des études sur les niveaux de souffrance ?

Pierre : Certains disent que les poissons ressentent moins la souffrance car ils ont un plus petit cerveau mais je pense que c'est faux. Car si la sentience des poissons leur suffit à éviter ce qui fait mal et chercher les choses plaisantes, pourquoi l'évolution aurait sélectionné une plus grosse sentience chez les mammifères, consommant plus d'énergie ?

Céline : Qu'en est-il des différentes sortes de sensations douloureuses ?

Pierre : Dans l'expérience où on injectait du venin d'abeille et du vinaigre, les deux groupes avaient mal mais seule la douleur causée par le vinaigre était soulagée par une pression, donc elle était différente de la douleur causée par le venin.

Brigitte : Fishcount qui interviendra vendredi a utilisé différentes méthodes de pêche. L'INRA a publié en 2009 un rapport sur la douleur des poissons. Selon eux, les poissons ne souffrent pas (mais ils pensaient aussi que les canards gavés pour le foie gras ne souffraient pas non plus).

Franck : On parle de souffrance physique, mais on comprend qu'il y a aussi dans l'élevage intensif une douleur psychologique. Par exemple, chez les mammifères, certains animaux d'élevage se laissent mourir.

Pierre : Oui, il y a beaucoup d'études sur le stress des poissons. D'ailleurs, une étude montre que le prozac avait le même effet sur leur humeur que chez les humains.

Charlotte : Est-ce que les études qui prouvent la souffrance des poissons semblent légitimes, reconnues ?

Pïerre : Celles que j'ai présentées ne sont pas les seules, il y en a d'autres et elles convergent.

Yves : Ce sont des études qui font autorité et elles ont fait grand bruit à leur parution.

Véronique : Comment meurent les poissons ?

Pierre : Souvent ils se font manger, sinon de vieillesse, de maladie...

Julien : Pour faire évoluer les mentalités, ne devrait-on pas diffuser des documentaires, par exemple sur ces incroyables stations de nettoyage que tu nous as décrites ?

Pierre : Il y a des films, j'ai trouvé des rushs, mais il faut être éthologue pour les interpréter.

Stéfan : Pour montrer la réalité, il faut aussi se méfier des outils. Il existe le film Nemo qui a provoqué encore plus de pêche car les enfants voulaient des poissons clown.

Yves : Il faut chercher des images.

Brigitte : On n'a jamais creusé le sujet avec le sérieux qu'il aurait fallu y mettre. Aujourd'hui,en France, personne n'a mis l'énergie qu'il faudrait mettre dedans pour chercher ces images.

Marion : Quand on parle de l'univers marin dans son ensemble, j'ai l'impression qu'il y a une sensibilité mais réservée aux baleines, aux dauphins, aux tortues.

Véronique : À Amsterdam, il y a les Black fish qui s'occupent exclusivement de la pêche, c'est leur domaine.

Céline : Je pense qu'il y aura un gain d'intérêt sur les prochaines années. Il y a des images de pêche mais pas d'élevage.

Pierre : Les modes de communication des poissons sont différents des nôtres : ils communiquent par des substances chimiques, des ultrasons qu'on ne peut entendre...

Jade : Les requins sont attirés par les cris d'agonie des poissons. Mais on n'arrive pas à enregistrer les cris des poissons.

Pierre : On peut les enregistrer, les détecter mais je n'ai pas trouvé de « traductions » en sons audibles par les humains.

Franck : Ça doit être difficile d'être autorisé à venir filmer dans les élevages ou les caméras cachés.

Brigitte : Il faut se dire que quand on veut, on peut. Mercy for animals montre des poissons écorchés vivants et Igualdad animal montre la pêche au thon.

Marilyne : J'ai une amie qui est allée au marché aux poissons à Marseille et est revenue en larmes car elle s'est rendue compte que les poissons souffraient, ils étaient complètement agonisants.

Stefan : La viande à la criée est traditionnelle à Marseille. Les enfants interrogent leurs parents mais les touristes prennent des photos, trouvent ça super. Tout est dans le point de vue de celui qui regarde.

Hélène : Quand un poisson est à l'air libre, il peut survivre des jours. C'est pire que la noyade des humains.