Top 10 des études empiriques - CR sara

Voir dans le programme ici.

Élise Desaulniers et Martin Gibert — Top 10 des études empiriques pour les militants

27 juillet 2014 15h.

Complément à la présentation, les slides de la présentation : http://prezi.com/crv8iqz8tskz/

elise.desaulniers@gmail.com
penseravantdouvrirlabouche
martin.gibert@gmail.com
martingibert.com
Ils sont aussi sur facebook et Élise est en plus sur twitter.

ED : Je suis militante presqu'à temps plein et auteure de deux essais sur la condition animale. Ma réflexion a commencé il y a six ou sept ans. Martin donnait un cours d'introduction à l'éthique. Il a commandé Éthique animale de Vilmer. J'ai reçu sa commande au bureau et ce livre avait l'air intéressant. Comme l'amie que j'attendais était en retard, je l'ai lu. J'ai réalisé qu'il y avait un monde que j'ignorais. Je suis devenue végétarienne et ai conduit Martin Gibert, mon mari au végétarisme. J'ai commandé plusieurs livres. J'ai commencé mon blog : « penser avant d'ouvrir la bouche ». Un soir, j'ai envoyé des mails à des éditeurs pour leur proposer d'écrire sur l'éthique animale et certains ont répondu oui.

Je mange avec ma tête a eu un gros succès au Québec.

MV : Je suis d'origine française et vit là-bas depuis une quinzaine d'années. Je me suis inscrit à l'université en philo au Québec et j'ai découvert une autre façon de faire de la philo : la philosophie analytique (différente de la philosophie occidentale). J'ai décidé de faire ma thèse sur la psychologie morale. Pourquoi avons-nous les intuitions morales que nous avons ? J'ai travaillé sur le rôle de l'imagination sur la perception morale. J'ai défendu la thèse que l'imagination enrichit la perception morale.

Nous avons sélectionné dix études empiriques que nous allons commenter :

1 – Les militants pour la justice sont-ils plus émotifs ?

Une première idée qu'on peut avoir quand on pense aux militants c'est qu'ils sont plus sensibles aux questions de justice et d'injustice parce qu'ils seraient plus émotifs. Il y a des théories qui cherchent à comprendre les émotions morales. Richard Shweder a classé la morale en trois domaines : autonomie (intuitions qu'on va avoir sur le fait de ne pas nuire à une personne), communauté (normes morales qui régissent la vie en groupe), divinité (sphère morale, rapport à la nature).
[voir tableau des trois domaines de Shweder]
Autonomie => Quand quelqu'un fait quelque chose de mal, on va ressentir de la colère, si nous-mêmes on fait quelque chose de mal, on va ressentir de la culpabilité et de la sympathie pour la victime.
Les émotions dans le domaine moral sont importantes. L'étude insiste sur une autre dimension qui est la cognition.
On a demandé à 40 étudiants de regarder des vidéos avec des actes justes (ex : donner de l'argent à quelqu'un qui mendie) et d'autres injustes (ex : mettre un coup de pied dans l'obole de la personne qui mendie). On leur demande ensuite de se positionner par rapport à des affirmations, de remplir un questionnaire d'empathie (exemples d'affirmations : je ne peux pas supporter l'idée d'exploiter quelqu'un, j'ai mauvaise conscience quand je suis récompensé à la place de quelqu'un d'autre qui le mérite... et les participants se placent sur une échelle de 1 à 6). On regarde les zones sollicitées dans le cerveau.
Puis ils sont sensibles à la justice, plus ils utilisent les zones de la cognition (rTPJ et dmPFC).

Conclusion de Jean Decety : « les individus sensibles à la justice ne sont pas conduits par les émotions mais plutôt conduits par la cognition. »

Ma : le coefficient de corrélation n'est-il pas très faible sur les graphiques qu'on a vus ?

MG : C'est peu mais c'est suffisant pour que l'étude ouvre de nouvelles voies.

2 – Les racistes sont-ils spécistes ?

On fait soudain l'analogie entre le racisme, le sexisme et le spécisme. On a des arguments philosophiques ou conceptuels. Mais ce qui a intéressé les chercheurs était : les mécanismes psychologiques sont-ils les mêmes ? Il y a eu une étude là-dessus. Ça fait partie de l'intersectionnalité. Y a-t-il une explication commune ?

Étude sur la théorie de la dominance sociale. Les chercheurs ont demandé à 191 étudiants canadiens au bac en psycho de remplir le questionnaire sur l’orientation à la dominance sociale. On part d'un indice, on demande aux gens d'évaluer des affirmations de 1 à 7 des affirmations du type : ce serait bien si tous les groupes étaient égaux... On obtient l'indice par rapport à la dominance sociale. Puis un questionnaire sur les préjugés envers les autres groupes ethniques (racisme) (envers les noirs, les minorités ethniques, les autochtones et les musulmans)

Puis un questionnaire sur le spécisme :

- Produire de la viande, des oeufs et du lait peu cher justifie qu’on entasse les animaux.

- Ça me dérange de voir un animal sauvage en cage dans un zoo.

- Il n’y a rien de mal à tuer des animaux pour leur fourrure.

- J’ai sérieusement considérer de devenir végétarien afin de sauver des vies animales.

Conclusion :
« Le spécisme et les préjugés ethniques sont significativement interconnectés parce que, comme il est statistiquement démontré, les attitudes envers les groupes humains et non humains sont fondés sur un désir général pour l’inégalité entre les groupes et les relations hiérarchiques. »

Plus vous êtes haut, plus vous avez des chances d'être raciste ou conservateur. Y a-t-il un lien entre l'indice de dominante sociale et le spécisme ?
C'est l'indice de dominance sociale qui induit la corrélation entre racisme et spécisme.

3 – Les émissions de gaz à effet de serre des différentes pratiques alimentaires

Il faut aller voir ce tableau en ligne. On a pris comme niveau de base l'alimentation actuelle des Britanniques.

À l’heure actuelle, l’alimentation de chaque britannique produit l’équivalent de 7,4 kg de C02 chaque jour, ce qui compte pour le quart des émissions directes des britanniques.
Ce qu’on apprend ici, c’est qu’en passant à une alimentation végétarienne ou végane, l’Angleterre réduirait les émissions liées à l’alimentation de 22 à 26%

Ce que cette équipe de chercheurs a fait, c’est qu’elle a pris les émissions liées à 60 catégories d’aliments et a croisé ces données avec ce que mangent réellement différents groupes de personnes pour évaluer les GES produits par différentes alimentation (omni, végétarien, végétalien).

Pour estimer les émissions liées aux aliments, on a pris le cycle complet de production : à la ferme, le transport, l’entreprosage jusqu’au supermarché et se basant sur des méthodes et modèles utilisées ailleurs. Ça donne un super beau tableau. On a ensuite pris en compte le gaspillage et établi 6 scénarios de consommation.

Scénario 2 : Ensuite on a remplacé la viande par du fromage. En terme d'impact de CO2 on passe de 7,40 à 5,79 ; on a moins de protéines, c'est moins cher mais plus gras => mauvaise idée.

Scénario 5 : Alimentation des végétaliens américains : 5,68 ; suffisamment de protéines, c'est moins cher, moins gras, moins de sodium.
Toutes les diètes étudiées étaient moins chère que l’alimentation omnivore et avaient toutes un apport en protéines suffisant.

En conclusion, les auteurs rappellent l’importance de réfléchir aux choix alimentaires dans une stratégies de réduction des émissions de C02. Les différentes diètes étudiées amèneraient des réductions d’émissions de C02 équivalentes à une diminution de 50% des émissions par les automobiles.

Dans leur conclusion, les auteurs rappellent l'importance pour les gouvernements de réfléchir à des choix alimentaires. En Amérique du nord, c'est complètement ignoré.

4 – Les pitounes de Peta, ça marche ou pas ?

Plusieurs féministes sont choquées par les campagnes de Peta qui réifient les corps de femmes pour promouvoir le véganisme. Est-ce que ça aide à modifier le comportement des gens à l'égard des animaux ?
Campagne avec Pamela Anderson a été interdite à Montréal.
Une étude australienne a essayé de regarder si les images sexualisées permettaient de vendre des causes éthiques.

On a pris 82 étudiants australiens non végétariens, on a montré des images de PETA avec ou sans femme sexy. Leur intention de soutenir PETA a été réduite chez ceux qui voyaient les femmes sexy et a été augmenté chez ceux qui voyaient les autres images, et ça s’explique par le fait qu’on donne moins de crédit aux femmes sexy.

Dans une seconde étude, on a demandé à 280 participants d’évaluer leur intention de soutenir PETA. On leur a aussi demandé 4 idées pour sensibiliser la population aux conditions des animaux et d’évaluer la crédibilité des femmes présentes dans les pubs sur différents critères. Les résultats ont confirmé ce qu’on avait observé dans la 1e étude.

5 – Qu'est-ce que ça change de lire Pollan ?

Michael Pollan est un journaliste américain. En 2006, il a écrit Le Dilemme de l'omnivore qui s'est beaucoup vendu. Il plaide pour une alimentation locale, bio, pas spécialement végétarienne.

Les chercheurs se sont demandé quel impact un livre peut avoir sur les jugements des gens ?
On a comparé les réponses d'étudiants qui avaient lu ce livre et ceux qui ne l'avaient pas lu + même chose un an plus tard ?

Deux questions intéressantes :

1/que pensez-vous de la qualité de la nourriture ?

2/Que pensez-vous des subventions que le gouvernement accorde à l'agrobusiness ?

Réponses :

1/ Après avoir lu le livre, les gens sont plus inquiets/critiques sur la qualité de la nourriture, un an après ils le sont moins mais plus que ceux qui n'avaient pas lu le livre.

2/Après avoir lu le livre, les gens étaient très motivés pour acheter de la nourriture bio, de la viande « heureuse » mais un an après ils n'y pensent plus. Au bout d'un an, les mauvaises habitudes reprennent le dessus car il est difficile de changer ses habitudes.

6 – Chien galeux ou compagnon à fourrure ?

Est-ce que le choix des mots fait une différence ?

Le langage déshumanisant est associé à de mauvais traitements envers les humains. L'inverse est peut-être vrai : le langage anthropomorphique ou bienveillant pourrait encourager les actes bénéfiques envers les non-humains.

On manipule la perception des gens en leur demandant d’évaluer des caractéristiques présentées de façon « anthropomorphique » ou plus neutre.
1/ ce chien a un bon sens de l’humour OU ce chien a un bon sens de l’odorat
2/ il écoute bien OU il écoute les ordres
3/ il aime trainer avec d’autres OU il se comporte bien avec les autres chiens

À la fin, on demande aux groupes s'ils seraient prêt à aider le chien (en l'adoptant, en donnant de l'argent au refuge...) Quand les gens ont eu une présentation du chien anthropomorphe, ils sont plus enclins à aider.

7 – Les stéréotypes négatifs affectent l'influence des activistes

On a tous en tête l'image de l'activisme. Aux États-Unis on appelle les activistes écolos des tree huggers, c'est péjoratif.

Si on pense que le changement social est important, on devrait valoriser le travail des militants ; mais les militants peuvent être vus comme hostiles ou désagréables.

Série de 5 études dont la partie la plus importante est qu'on a demandé à des gens d'utiliser des qualificatifs pour décrire les militants.

Environnementaliste typique : végétarien, hippie, malpropre, pas à la mode, ennuyeux, fou, irrationnel, on a ensuite demandé à un groupe d'écouter les messages de militants qui se conforment à ces stéréotypes-là. Ce qu’on comprend, c’est que ce n’est pas l’appartenance à un groupe mais plutôt le degré avec lequel une personne se conforme à des stéréotypes qui affecte la réaction du récepteur. Dans Change of heart, l'auteur a remarqué que quand il est habillé « normalement » (ie : en costard, élégamment) il est plus écouté que quand il est habillé de façon relax.

8 – Les végés sont en meilleure santé que les omnis

L'objectif de cette étude est de mesurer l'association entre un régime végétarien et la mortalité. Étude menée avec les adventistes du septième jour, entre 2002 et 2007. C'est une église puissante aux États-Unis, pour eux les questions de corps sont très importants, ils font plus de sport, boivent moins, vivent plus longtemps. On a identifié les omnivores, les végétariens, les pesco-végétariens, les végétaliens en se basant sur ce qu'ils déclaraient manger pendant la durée de l'étude.

On a regardé les causes de mortalité par groupe sur une période de sept ans. Tous les végétariens vivent plus longtemps mais le régime végétarien semble avoir une influence plus positive chez les hommes et chez les femmes.
Les gens qui deviennent vegan pour des questions de santé font plus attention à leur alimentation que ceux qui deviennent vegan pour des raisons éthiques.

Les auteurs de l’étude posent d’ailleurs une hypothèse intéressante : ceux qui deviennent végé pour des raisons éthiques ou environnementale peuvent être différents de ceux qui le deviennent pour des raisons de santé et peuvent se nourrir différemment.

9 – Le bingo de l'omnivore

Une équipe de chercheurs portugais a travaillé avec des focus groupes. Ils ont pris une quarantaine de personnes (37% d’homme; âge moyen: 31 ans) , ont divisé ça en petits groupes et ont présenté des arguments classiques contre la consommation de viande. On leur a présenté les impacts de la consommation de viande sur l’environnement, la santé publique et le bienêtre animal. Les personnes interrogées ne veulent pas changer leur attitude mais utilisent des stratégies pour se désengager moralement.

Les chercheurs ont classé les arguments selon la théorie du désengagement moral. Cette théorie a identifié des choses qu'on fait lorsqu'on veut se désengager. On va reconstruire notre conduite, obscurcir notre responsabilité individuelle...

Oui mais... il n'y a pas d'alternative.

Oui mais... il y a des choses pires.

Ça ne dépend pas de moi :

- on blâme la production de masse, non la consommation de masse

- c'est la responsabilité des pouvoirs publics, juridique, éducatif...

- c'est pas si mal que ça, on relativise les études ; cet argument ne présente qu'une face de la médaille.

- minimisation des conséquences

- ne m'y faites pas penser, je ne veux pas y penser !

L'expression de ces phrases semblent légitimer les raisons égoïstes pour manger de la viande. Il ne suffit pas de donner à quelqu'un une information pertinente pour le faire changer d'attitude.

10 – Qui sont les flexitariens ?

Graphique : entre 2009 et 2011 la consommation de viande par semaine. Les petits mangeurs de viande sont en augmentation, alors que ceux qui mangent de la viande sept fois par semaine sont en diminution.

Tableau où on compare ce que mangent les gros mangeurs de viande et ce que mangent les flexivégétariens. Chez les flexivégétariens, les premiers ingrédients sont quand même des produits animaux, même s'il y a plus de popularité pour les noix, les légumineuses, par rapport aux mangeurs de viande.

Le mouvement animaliste au Québec

Pendant plusieurs années, il n'y avait pas vraiment de mouvement animaliste au Québec. En 2009, un joueur de hockey sur glace très connu devient végétalien. Ça fait la une de tous les journaux. Ce n'était pas un très bon joueur mais il était spécialisé dans la bataille (frapper les joueurs de l'équipe adverse), ce qui cassait les clichés.

Il le devient après avoir regardé le documentaire Earthlings. Il devient militant : il tourne en français le documentaire Earthlings. On profite de ce moment pour lancer les lundis sans viande qui existent déjà aux États-Unis. J'écris le livre Je mange avec ma tête en 2011 qui a un assez beau succès médiatique. L'association végétarienne de Montréal prend de l'engouement. Safran Foer est traduit en français et est un beau succès de librairie.

Julie Snyder, la superstar de la télé québécoise, est végétarienne depuis longtemps et présente une émission qui montre la réalité de l'industrie de la viande une fois. Cela a été diffusé sur une heure de grande écoute et ça a eu un gros impact sur les Québécois. Les gens réalisent que 99% de la viande qu'ils consomment est issu de l'élevage industriel.

J'ai écrit Vache à lait en 2013. Le lobby du lait est très puissant au Québec. Quand on était petit on buvait un litre de lait par personne et par jour. Les réactions sont très violentes. On me dit que je ne suis pas crédible car je suis végane et donc de parti pris. Un mouvement a pris une certaine vitesse en hiver dernier. On a lancé le manifeste « les animaux ne sont pas des choses » pour un changement du code civil. Cet été il y a eu la marche pour la fermeture des abattoirs. Les journalistes s'intéressent à ce qu'on fait. Cet automne, il y aura le premier festival végane.