«L'abolition de la corrida en Catalogne et la situation de la tauromachie dans le monde» - compte rendu par Thomas

Leonardo Anselmi

10h30
48 personnes

Je suis un militant de la cause animale, j'étais porte-parole de l'association « Plataforma PROU »  (mot catalan qui signifie « ça suffit ») pour l'abolition de la corrida. C'était dans la continuité d'une campagne plus large pour les droits des animaux. Particularité en Catalogne : bon niveau de coopération entre les organisations. C'est cette particularité qui a participé à notre succès dans l'interdiction des corridas en Catalogne.

Ce n'est pas la même chose d'inciter une personne à ne pas aller à une corrida, et d'aller à un Parlement pour interdire les corridas. Dans la première situation, de sensibilisation, on ne se situe pas à un niveau politique, tandis que la méthode dans la seconde approche est centrée sur la stratégie.

Qu'est-ce que la stratégie ? C'est une route. Les tactiques sont les pas que l'on fait sur ce chemin. En général les associations ont des tactiques, pas de stratégie. On fait des pas, on ne sait pas exactement pourquoi on les fait. Quand on colle des affiches, quand on tracte, quand on manifeste, on doit se demander pourquoi on le fait. Souvent on se rend compte qu'on fait des pas en dehors du chemin. Or faire des pas ne signifie pas forcément cheminer.

Le mouvement pour les droits des animaux a beaucoup de revendications : viande, animaux de compagnies, cirques, expérimentation animale, corrida, etc. Quelques une de ces revendications peuvent s'appuyer sur un soutien populaire assez large. Cela nous oblige à changer notre approche, notre chemin.

Différence entre mouvement social et société en mouvement : concepts différents, et différence de comportement radical. Variable inversement proportionnelle entre la quantité de personnes qui appuient une quantité d'idées. Mouvement social : petit groupe de personne unies par une grande quantité d'idées en commun : une idéologie. Au fur et à mesure que l'on supprime des idées et que l'on garde une idée, on passe au niveau d'une société en mouvement.

Qu'est-ce que les mouvement sociaux en pratique ? Communiquer, manifester...

Quel est le comportement d'une société en mouvement ? Conférences en université, invitant des universitaires à approfondir un sujet, auprès des politiques... Une société en mouvement va voir tous ses secteurs bouger pour une idée.

Presque tous les efforts que nous faisons dans un mouvement social sont centrés sur la mobilisation. Dans une société en mouvement il s'agit de l'organisation, la coordination des différents secteurs sociaux. On doit se projeter dans le secteur politique : comment ça fonctionne, comment ils pensent ? Un politique en général n'a pas peur d'un autre politique ni des médias, il sait comment les appréhender. De quoi a t-il peur ? De la société civile organisée. Il a peur de l'organisation. Il préfère avoir 3000 personnes en manifestation qui lancent des pierres, à 3 personnes assises autour d'une table en train de s'organiser.

Le politicien, qui prend la décision finale de la légalité ou non, doit avoir peur d'une organisation, du poids social, de la quantité de personnes qui défendent une idée.

Comment le politicien voit-il les citoyens ? Nous connaît-il par nos noms, notre histoire ? Non, ils ne nous connaissent pas de façon personnelle, mais par notre comportement. C'est pour ça qu'il est important que le mouvement pour l'abolition des corrida doit changer de comportement. Il doit changer deux choses fondamentales : le discours, les actions.

Je vais vous parler de comment le mouvement en Catalogne a changé son discours.

Traditionnellement le milieu taurin se défend par certains arguments : tradition, emplois, défense de la race taurine, inspiration artistique... Presque tous ces arguments (sauf l'emploi) sont des arguments qui expliquent la tauromachie, mais ne la justifient pas. Cela nous explique pourquoi la tauromachie continue d'exister. Comment nous ont trompé les taurins ? En nous faisant rentrer sur ce débat : culture / non culturel. Mais cela n'est pas l'important : la culture n'est ni bien ni mal, c'est juste la répétition de fonctionnements sociaux antérieurs, vue comme inévitables. Mais cela ne justifie pas en soi une tradition. Le débat que l'on devait poser pour en sortir est l'idée de savoir si notre société doit continuer à proposer des spectacles qui encouragent la violence. Nous avons donc présenté de l'ordre de 25 études qui montrent de façon générale la relation entre violence envers les animaux et entre humains, et quelques études plus spécifiques qui montrent que lorsque la violence est érigée en spectacle c'est néfaste pour toute la société. La torture envers les animaux torture aussi notre société.

Avec cet argument les règles du jeu ont radicalement changé. Les pro-corrida étaient quasiment sans argument face à cela, ils étaient incapables de trouver un psychiatre ou une étude démontrant que les corridas sont bonnes pour les enfants par exemple. Avec cet argument le débat était gagné d'avance.

Les pro-corrida ont alors trouvé un autre argument : l'abolition de la corrida va à l'encontre de la liberté individuelle de l'aficionado. Ils pensaient que nous irions nier cet argument, mais au contraire nous avons confirmé cet argument, en disant qu'il est normal que la société dise les limites de la liberté individuelle. Les anthropocentristes n'aiment pas les exemples humains pour défendre les animaux, mais très bon exemple chez les animaux : les combats de chien sont interdits, ce qui empiète sur la liberté individuelle. Un taurin a essayé de répondre en défendant les combats de chien, mais il s'est juste donné une image d'arriéré, puisque la société est massivement d'accord avec cette interdiction.

L'argument de la liberté individuelle est le seul argument des pro-corrida pour défendre la corrida, il faut donc apprendre à y répondre.

Comment y répondre ? La liberté est pour nous chargée de valeurs positives, d'implications positives sur le plan cognitif. Si la liberté individuelle était absolue, nous aurions tous une connotation négative du mot « liberté », parce que nous aurions peur de la liberté de l'autre, qu'on puisse me voler, me tuer... La liberté a été limitée parce que l'être humain ne peut sinon se comporter de façon éthique l'un envers l'autre. Les véritables ennemis de la liberté ne sont pas ceux qui veulent la limiter afin qu'elle continue d'avoir des connotations positives. Ce sont ceux qui veulent l'utiliser pour justifier toutes sortes de perversions. Parce que nous, nous voulons juste limiter une toute petite partie de la liberté (aller à des corridas), alors qu'eux veulent détruire la valeur positive de la liberté elle même.

De même pour l'art : l'abolition des corridas permet que l'art ne soit pas utilisé pour justifier des perversions.

Avant le débat, j'aimerais vous proposer un axe de réflexion pour les stratégies pour le mouvement animaliste. Sur les sujets où une partie large de la population défend une idée, il est nécessaire de faire beaucoup de politique. Souvent les gens sont opposés au fait d'aller vers les politiques. Quand quelqu'un organise une manifestation pour abolir une pratique, on s'adresse pourtant aux politiciens : faire cela, c'est déjà faire de la politique, mais d'une façon non stratégique. Donc le défi que je vous propose, pour avancer, c'est que l'on décide de faire un militantisme radicalement politique. Une fois j'ai demandé à un groupe de militants très impliqués qui était prêt à perdre sa liberté, son intégrité, pour défendre les animaux : ils étaient tous près à le faire. Puis j'ai demandé qui était prêt à retirer ses piercings pour aller au parlement : ils se sont tous regardés sans répondre. Il faut donc savoir si l'on défend des idées ou une posture. Tous les politiciens ne sont pas mauvais. Ce qu'il faut se demander c'est si nos idées sont intéressantes y compris pour un politique. Il est donc important d'apprendre certains codes de communication. Il existe un code politique, une façon de parler pour que ces personnes nous comprennent mieux. Il est indispensable d'utiliser ces codes pour se faire comprendre. Dès que vous voulez introduire une nouvelle information dans un cerveau, vous devez partir des informations qui se trouvent déjà dans ce cerveau. Les cerveaux sont fermés aux idées 100 % nouvelles. C'est la notion de consonance cognitive. Quand on parle de la consommation de viande par exemple et qu'on aborde les questionnements éthiques, les personnes qui ont déjà une réflexion sur le plan éthique vont nous écouter, mais si l'on parle à un écolo il faut parler des conséquences de l'élevage pour l'environnement. Il s'agit de savoir quelle est la première information que nous allons apporter. Il ne s'agit pas de mentir, mais d'organiser l'information de façon stratégique, afin que notre opposant puisse être d'accord avec la première information que nous lui apportons.

Lorsque nous écoutons un pro-corrida nous rions de ses arguments, mais je pense que les pro-corrida sont bons puisqu'ils gagnent encore. La question à se poser est alors « comment faire en sorte qu'ils ne gagnent plus ? ». Dans cette campagne en Catalogne j'ai appris énormément de chose. Je suis impliqué dans le mouvement depuis six ans, avant je travaillais dans le marketing. Ma vie a connue un changement radical, mais j'ai beaucoup appris. J'ai appris que l'obstination est ma seule vertu. Quel que soit le domaine dans lequel vous vous impliquez, je vous souhaite à tous beaucoup d'assurance, de courage, et beaucoup d'obstination.

Débat

Éric. La corrida risque t-elle d'être de nouveau légalisée en Catalogne ?

R. Il y a une démarche nationale qui a été lancée par les pro-corrida en ce sens. Ils ont rassemblés 500.000 signatures. C'est très bien, parce que nous allons en rassembler deux millions et les présenter quelques mois avant les élections 2015. Nous allons passer le message aux politiciens qu'ils doivent avoir peur de nous plus que des pro-corridas. Nous ne demandons pas l'interdiction, nous avons été plus pragmatiques, nous demandons l'arrêt des subventions. Car la corrida est actuellement en été végétatif, maintenue en vie par les subventions. Si nous les supprimons, nous n'avons plus besoin de parler de liberté individuelle. Nous avons aussi une campagne « enfance sans violence » contre l'accès des mineurs aux corridas. Actuellement ils n'ont pas accès aux films violents au cinéma, et pourtant ils ont accès à des lieux où la violence est réelle. Nous allons introduire dans cette initiative ces arguments et quelques autres arguments. Nous sommes des centaines à nous impliquer dans cette initiative. Grâce à l'initiative nationale des pro-corrida nous avons élargi le débat de la Catalogne à toute l'Espagne, et obtenu le soutien de tous les partis de gauche.

Yves. Comment avez-vous obtenus les premiers résultats en Catalogne, et le soutien de tous les mouvements animalistes ?

R. Nous utilisons une théorie sociologique, la théorie de la spirale. Au début nous insultions les pro-corrida, nous n'avions pas d'argument, c'était juste un débat agressif de part et d'autre. Nous n'avions pas une bonne communication, pas de bons visuels, pas de bonne rédaction, pas de stratégie ni de réflexion autour de la communication. Comment faire pour que ces milliers de militants changent de stratégie ?

Stratégie de la spirale : nous avons commencé à peu de personnes, deux heures de réunion par jour après le travail, pendant un an. Pendant cette année s'est créé une nouvelle culture pour le mouvement anti-corrida ? Pourquoi une spirale ? Parce que nous invitions sans cesse de nouvelles personnes à entrer dans le groupe. Toutes les personnes qui s'intégraient à ce groupe, s'impliquaient, prenaient petit à petit des responsabilités, intégraient petit à petit de nouveaux départements, en fonction des compétences disponibles pour les créer (juridique, communication, etc.). Tous ces départements se coordonnaient autour d'une table unique. Nous avons commencé à 4, terminé à 2500. Nous n'avions pas d'endroit pour nous réunir, alors nous le faisions dans la rue. Ce n'était pas une manifestation, c'était une assemblée ! En un an et demi nous avions créé un nouveau mouvement avec un nouveau comportement.

Chaque étape a été pensée de façon différente. La première étape fut un discours qui s'adressait au cerveau du militant. La seconde étape était de recueillir un maximum de signatures, avec un discours orienté vers la société civile. La troisième étape, avec des arguments préparés d'avance, était de défendre l'initiative au Parlement, avec un discours qui s'adresse aux politiciens. Il faut toujours savoir à qui l'on parle. Je suis intervenu parfois à la télévision avec des millions d'auditeurs, mais une fois en parlant uniquement aux militants, une autre fois aux politiciens, selon l'étape dans laquelle nous étions. On dit exactement la même chose, mais de façon différente. La façon de dire les arguments était étudiée en fonction de l'étape en cours.

Stefan. L'argument des subventions me gène : la culture, la musique... repose sur les subventions. Faut-il supprimer les subventions pour ces secteurs ? C'est une vision libérale.

R. Si la viande n'était pas subventionnée en Europe, elle coûterait au consommateur 60 euros par kilo. Cela provoquerait la fin d'une partie de l'exploitation animale et d'une part des travailleurs agricoles. En Europe 20 % de la production de viande est jetée avant d'arriver sur les étals. Donc si l'on me demande si je suis pour le libéralisme en matière de production de viande, je réponds oui. Dans une vision éthique ou écologique l'interventionnisme peut être une aberration. Il faut donc trouver une troisième voie.

Le point spécifique de la corrida est qu'elle a beaucoup de détracteurs sur le plan moral. En matière de musique je n'aime pas certaines choses, mais simplement je ne les écoute pas et voilà. Dans la corrida, si je n'y vais pas le taureau meurt quand même, donc il y a un aspect moral.

Q. En tant que juriste c'est la démarche concrète que vous avez employée en Catalogne qui m'intéresse, et comment elle peut être étendue aux autres régions espagnoles et aux autres pays, sachant que ce sont souvent quelques politiciens qui bloquent tout le processus d'abolition. Quels rouages concrets employer ?

R. Les meilleures questions sont « que fait-on pour demain ? ».

En Catalogne : initiative législative populaire. Prévue dans les constitutions espagnole et catalane. Rassemblement de signature (50.000). Collecte non facile : ne peuvent être recueillies que par personne assermentée devant le Parlement de Catalogne. 880 personnes recueillaient les signatures, et avaient trois mois pour cela. Chaque signature : nom, n° carte d'identité, adresse postale. Une erreur d'une lettre = signature non valide, donc chaque signature devait être vérifiée à partir de la carte d'identité. Nous avons rassemblé les 50.000 signatures en vingt jours, 180.000 en trois mois. Travail monstrueux, beaucoup de planification logistique, rien laissé au hasard. Quand nous nous réunissions à 4 au début nous commencions par imaginer des situations futures potentielles, et leurs conséquences successives, et nous avions un grand tableau d'une vingtaine de mètres où nous avions dessiné toutes les situations possibles, et à la fin nous avions parcourus un seul de ces chemins. C'est pour cela que la planification des signatures a été très rapide.

Nous avons travaillé avec un psychologue : quelle est la psychologie de l'assermenté aussi bien que du signataire ? Pour l'assermenté : gêné de recueillir des signatures dans la rue, donc nous avons créé des petites cellules. Nous avons travaillé sur la minimisation de la méfiance des signataires en lançant une grosse campagne de communication préalable (4-5 mois), avons mis en place des visuels pour identifier les assermentés. La planification est donc très importante.

Puis nous avons apporté les signatures au Parlement, et avons débuté une démarche, tel un nouveau parti politique mais avec une seule revendication. Nous n'étions plus des anti-corrida mais des abolitionnistes, et en face des anti-abolitionnistes : l'image du statu-quo était de ce fait de leur côté. Nous avons travaillé sur l'argumentation auprès des députés.

Nous avons tenté ce processus dans d'autres régions espagnoles, mais échec car les militants ont pensé que l'initiative populaire était gagnée d'avance : parfois on comprend comment ça se passe et on peut changer la société, parfois on est dans la pensée magique et ça ne fonctionne pas. Les militants ailleurs ont juste tenté l'initiative législative populaire sans planification, ce qui a empiré la situation. Si tu affrontes un adversaire très fort, tu dois être sûr que le premier coup que tu vas donner est le bon. Si tu veux induire des changements dans la société ce qui est important c'est le contexte que tu crées pour les actions que tu lances, pas les actions en elle-même. C'est un processus inverse que celui que nous avons habituellement. Habituellement nous pensons aux pas successifs que nous faisons l'un après l'autre vers le but. C'est valable pour un individu. Pour la société nous devons partir de la situation finale, penser à l'étape précédente nécessaire, puis celle d'avant, etc., jusqu'à la situation actuelle. La première situation correspond à ce que nous faisons pour expliquer à une personne les étapes successives pour devenir végane, pas à pas. Mais pour que la société fasse petit pas après petit pas, il faut créé le scénario pour cela. Aucun changement social ne peut durer longtemps si la société n'y est pas préparée. Donc il faut penser au scénario du changement désiré, puis au scénario préalable à ce scénario, puis au scénario préalable à ce scénario préalable, etc.

France : situation très favorable : population majoritairement contre, pas de corrida dans la capitale (très important), petite partie du territoire, ne fait pas partie de la tradition historique, exemple préalable de la Catalogne, beaucoup d'autres spectacles violent impliquant des animaux ont déjà été interdits en France. Donc supposant que nous soyons au jour de l'abolition en France, qu'est-ce qu'il doit se passer pour que la plupart des politiciens votent en ce sens ce jour ? Avant il aura fallu une procédure législative. Avant ça il aura fallu un mouvement qui aura porté cette demande de procédure. Avant il aura fallu une campagne porté par l'ensemble du mouvement anti-corrida. Avant il aura fallu de bonnes relations entre les associations impliquées...

Hélène. Que pensez-vous de la marche d'Alès ?

R. En général je ne suis pas d'accord avec les marches et les manifestations près des lieux de corrida. Quand on a l'appui de la majorité de la société on doit changer de comportement. L'objectif n'est plus de protester, mais de mettre en mouvement la société. Que fait-on si on arrête de protester ? On provoque le changement. Si on proteste on demande à d'autres de porter le changement. La société en changement, c'est le changement. C'est pour ça qu'on doit changer de comportement.

Une manifestation c'est beaucoup d'argent et de temps dépensé. Il faut beaucoup de personnes pour qu'elle soit efficace.

L'organisation est plus importante que la manifestation.

Q. Quelles étaient les caractéristiques des 4 personnes du groupe initial ?

R. Pour faire un bon groupe il faut des qualités complémentaires. Et pas de hiérarchie, mais une répartition des rôles :

Une personne en charge de la coordination, pas au-dessus des autres, mais qui organise le travail des autres. Le croupier : celui qui distribue les cartes. Le manager.

Il faut quelqu'un qui comprenne bien les lois et les utilise comme un outil stratégique.

Il faut une troisième personne qui sache analyser le discours de l'adversaire et construire une stratégie de discours, qui réfléchit au contenu de la communication.

La quatrième personne, le co-worker : sait gérer les réseaux sociaux, sait comment communiquer le contenu, c'est le logisticien : celui sans lequel le stratège ne peut gagner la guerre. Le stratège dit « on doit faire cela », le logisticien prévoit les moyens nécessaires, les outils dont le stratège a besoin.

C'est ça l'équipe : différentes compétences qui se complètent.

Joris. Question sur le financement : comment, par qui ? Question sur un argument des pro-corrida : interdiction en Catalogne s'expliquerait par sentiment anti-castillan ?

R. Budget de 40.000 euros donné par le parlement dans le cadre de l'initiative, mais versé a posteriori, donc il a fallu emprunter d'abord cet argent, avec le risque que si les signatures ne sont pas réunies l'argent est perdu. On a dépensé en tout 46.000 euros. À l'heure actuelle le financement repose sur la levée de fond sur internet, le crowd-founding, beaucoup de personnes donnent un peu d'argent. Avantage : non seulement on obtient de l'argent, mais en plus ça oblige à être très créatif. Pour imprimer 1000 tracts, ça ne marche pas ; pour financer une campagne bien conçue pour protéger les enfants des corridas, ça fonctionne. Je ne suis pas d'accord pour qu'on base le financement sur le nombre d'adhérents : cela tranquillise, nous endort, nous empêche de nous stimuler par le fait de trouver sans arrêt de nouvelles actions attractives à financer. Nous ne devons pas chercher des personnes pour financer des organisations, mais des actions. Cela oblige à faire de meilleures campagnes.

Par rapport au débat Catalogne-Espagne : j'avais un avantage en tant que porte-parole, parce que je suis argentin, donc cet argument là était moins présent. Mais dire qu'on a voulu interdire les corridas pour des raisons nationalistes est plus un préjugé qu'un argument doté de fondement. La Catalogne est la seule communauté autonome espagnole qui interdit de tuer les chiens et les chats (300.000/an en Espagne), 100 villes catalanes interdisent l'utilisation des animaux dans le cirque, 30 dans le reste de l'Espagne. 4 pays dans le monde différencient les animaux des choses dans le Code civil, dont la Catalogne. Barcelone possède son propre guide du végétarisme traduit en plusieurs langues, avec 60.000 euros de budgets. Il y a une grande différence entre Barcelone et le reste de la Catalogne, c'est une ville très progressiste, et Barcelone entraîne toute la Catalogne, voire toute l'Espagne. C'est une ville passionnante qui a beaucoup de force, c'est normale que la corrida n'y soit pas acceptée.

Q. Avez-vous des contacts avec CRAC, FLAC, Alliance anti-corrida ?

R. Oui, des contacts. Nous n'avons jamais eu des relations très fluides avec ces organisations. Leurs relations sont mauvaises. Personnellement, avant de travailler dans un pays je demande à ce que ces tensions soient réglées. Si elles ne font pas ce premier pas nous ne ferons pas le second pas. La France est l'endroit où les organisations anti-corrida sont les plus mauvaises. Nous avons fait une fois fait une manifestation pour la FLAC devant l'ambassade française, j'ai reçu immédiatement ensuite des mails d'insultes de la part des autres organisations ! Moi je suis ami des taureaux, il est impossible d'avoir une action significative si on passe du temps à se bagarrer.

Charlotte. L'abolition de la corrida s'inscrit-elle pour vous dans celle de la viande ?

R. J'ai envie de dire que oui, d'une certaine façon c'est en relation profonde. Pendant tout le débat sur la corrida, pendant trois ans, nous étions sur tous les médias, on le retrouvait de façon constante. Ce n'était pas nous qui mettions le débat sur la consommation de viande sur la table, mais les pro-corrida. Souvent les anti-corridas justifiaient la consommation de viande, de façon stratégique, pour diminuer les freins à l'acceptation de la campagne, mais c'était une erreur de leur part. Nous avons changé de façon de répondre : « moi je suis venu pour parler de la corrida, mais je me réjouit que vous posiez la question parce que ça me permet de parler d'un autre secteur de l'exploitation animale : je suis sûr que la plupart des gens qui regardent cette émission serait incapables de tuer eux-même un animal, et cela fait la différence avec un torero. J'invite les personnes qui écoutent à se demander si tuer un animal correspond à leurs valeurs profondes, et à agir en conséquence. »

La semaine suivant l'interdiction de la corrida, tous les médias parlaient du véganisme : « qui sont ces véganes qui ont obtenu l'abolition en Catalogne, qu'est-ce que le véganisme ? ». Nous avions obtenu quelque chose de beaucoup plus important encore que l'abolition de la corrida : de maintenir un débat constant sur la souffrance animale.

On n'a jamais autant parlé du végétarisme que pendant cette campagne.

Hélène. Quelle retentissement sur tout cela de la crise économique actuelle en Espagne ?

R. La campagne s'appelait « Du pain et des taureaux », en référence aux jeux de la Rome antique. Cela nous parlait d'une situation, d'une échelle où le gouvernement a une influence sur le peuple. On dit souvent que la société est composée d'individus, mais réciproquement les individus sont composés de la société. Actuellement en Espagne beaucoup de gens demandent du pain mais se contente des jeux. Et le gouvernement donne aux gens plus de jeux que de pain. Donc on doit avoir une action bi-directionnelle : à la fois trouver masse critique dans la société, et faire pression sur le politique pour changer son échelle de valeurs. Un aspect qu'on voit peu, c'est la politique des valeurs, et cette politique n'est jamais accidentelle, elle est toujours planifiée. Mais comme elle est stratégique elle ne se voit pas. La stratégie que l'on voit n'est pas une stratégie. La seule chose que l'on voit est une succession de tactiques.

Si un gouvernement diminue les subventions sociales, augmentent celles des corridas qui ont de moins en moins de spectateurs, quelle est la réponse ? C'est une politique des valeurs, une stratégie des valeurs, et la première chose à faire est de démontrer la stratégie du gouvernement.

Q. Conséquences économiques de l'interdiction des corridas ?

R. En 2010 à Barcelone il y avait deux places de taureaux, une seule faisait des corridas, l'autre avait été transformée en centre commercial. La première générait 2500 heures de travail, la seconde 850.000. Une place de taureaux n'est pas une source d'emplois dans une ville mais un sacrifice.

Il y a bien sûr d'autres sources d'emplois dans les élevages, les costumiers, l'organisation des corridas, les critiques taurins... Nous proposons une reconversion de ce secteur, comme cela s'est déjà souvent produit dans l'histoire économique. Nous disons au politique que l'argent employé à soutenir un secteur sans avenir, dont la fin est inévitable, est de l'argent gaspillé, alors qu'il pourrait être utilisé à la reconversion de ce secteur.

Marion. Peut-on faire un parallèle entre situation catalane et française, par rapport aussi aux autres actions ?

R. Je ne sais pas si je peux répondre à cette question, ne connaissant pas suffisamment toute la situation française. Exemple de la campagne stop-gavage : le foie gras est un point faible de l'industrie de la viande, mais pas suffisamment faible pour que nous soyons forts. Le mouvement de défense des animaux dépense de l'argent, les éleveurs en gagnent, c'est assez inégal. C'est difficile de contrer un lobbyiste professionnel. La seule façon de faire peur à un politicien c'est la perspective qu'il ne soit plus politicien. La stratégie que l'on doit rechercher doit être orientée vers la popularité des revendications, des modes de financement efficaces, et bien investir cet argent. À la place d'une manifestation je préfère faire une enquête de marché, et demander aux français qui est pour ou contre la corrida et pour qui votent-ils, et aller voir ensuite les politiciens. Avec ces données spécifiques tu peux parler aux politiciens, et aussi prendre les bonnes décisions en terme de communication.

Deuxième recommandation pour la France : ne pas faire de manifestations dans le sud mais à Paris. On frappe à la mauvaise porte.

Hélène. Pratiquement, comment va t-on rendre utile cette conférence ?

Yves. Quel discours utilisé par rapport à la souffrance et à la mort des taureaux ? Selon quel axe ?

R. Je ne crois pas au déterminisme social, je crois à l'intervention, il y a beaucoup d'idées, de raisons qui influencent le vote d'une personne. On vote pour mille raisons différentes, mais on vote pour quelqu'un. C'est la même chose pour une campagne. La seule chose importante est d'être majoritaire, et cela n'est pas discutable. En Catalogne 72 % de la population était anti-corrida, donc la question n'était pas « pourquoi vouloir l'interdire » mais « comment ? ». Nous avions plus de signatures que certains députés n'avaient eu de vote pour être élus. C'est une question de démocratie.

Il y avait deux groupes de soutiens : ceux qui pensent que la corrida blesse les animaux, ceux qui pensent qu'elle blesse la société. Mais le deuxième groupe se nourrit du premier.

Donc il y a tout un éventail éthique, des positions qui se répondent les unes les autres.

Q. Que pensez-vous de l'action de Rodihan en 2011 ?

R. Ça ne me plaît pas tellement, mais ça peut provoquer un débat, et il faut se préparer préalablement à ce débat... « Le jour où tu est mal coiffé, n'attire pas l'attention sur toi ».