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Témoignage et parcours personnel d'un visiteur d'abattoirs
Intervention par Jean-Luc Daub et débat, le dimanche 17 août matin.
Jean-Luc Daub est visiteur d'abattoirs.
L'intervenant initialement prévu pour ce sujet était Gil Raconis, visiteurs d'abattoirs et auteur du livre L'abattoir... agir autrement!. Gil est malheureusement décédé le 29 juin 2008.
Gil Raconis
Résumé de l'intervention
Jean-Luc Daub, qui a travaillé avec Gil Raconis, a accepté de nous parler de sa propre expérience ainsi que de la personnalité de Gil Raconis.
Texte de l'intervention de Jean-Luc Daub
1. Gil Raconis
Je suis aujourd'hui avec vous à la place de Gil Raconis qui devait faire l'intervention, mais qui est décédé brutalement cette année. J'ai fait le même travail que lui, pendant plusieurs années ce qui me permet de pouvoir aborder la question des abattoirs. J'ai fait des enquêtes d'abord en tant que bénévole, puis en tant que salarié. Il avait, comme moi, la mission de visiter les abattoirs dans le cadre de la protection animale. Vérification des pratiques, du respect de la réglementation en matière d'abattage, secours aux animaux en détresse et en souffrance.
Il adorait les animaux, et s'était pris d'amitié pour un taureau qui s'appelait Titus, et qui avait été sauvé en raison d'actes de mauvais traitements. Ayons pour Gil une grande pensée, pour l'ami et le défenseur des animaux qu'il était, pour avoir fait reculer la souffrance animale dans les abattoirs, par son intervention sur le terrain, mais aussi en étant végétarien dans sa vie privée. Gil est certainement en bonne compagnie puisqu'il a rejoint son ami le taureau Titus qui a quitté brutalement ce monde il y a quelques années.
2. Mon parcours personnel en passant par la SPA
Mes débuts dans la protection animale ont commencé en tant que délégué à la SPA de Strasbourg. J'allais d'abord promener les chiens, et nettoyer le chenil. Très vite, j'ai été amené à faire des enquêtes lorsqu'on nous signalait des mauvais traitements sur des animaux.
Je me rendais chez les particuliers qui faisaient l'objet d'un signalement. Ce n'était pas toujours évident. Parfois les lieux étaient isolés, parfois dans des cités dont l'état des immeubles était déplorable, sinistre et hostile, ce qui encourageait à plutôt faire demi tour. Et tant pis pour le chien en question. Mais non … rassurez-vous je suis toujours allé au bout de mes interventions, même dans les abattoirs où sur les marchés aux bestiaux. Peut-être par inconscience, mais comment renoncer à une intervention lorsque l'on sait qu'un ou des animaux sont en détresse ? Et puis, il y avait toujours la possibilité d'être accompagné par la police ou la gendarmerie, lorsque celles-ci acceptaient d'être coopératives.
Dans le cadre de ces enquêtes, je m'étais rendu dans une cité de Strasbourg à forte mauvaise réputation. Avant de me rendre chez la personne qui avait été dénoncée, j'avais fait une enquête de voisinage pour être certain de la véracité des faits et que la personne possédait bien un chien. Je sonne chez la personne concernée qui m'ouvre, et je me présente. Elle me dit ne pas avoir de chien. Je trouve donc l'astuce de bluffer, en lui disant que ce sont les gendarmes qui m'ont demandés de venir, et de rajouter que si vous ne me laissez pas voir le chien, je reviens avec eux. La personne ne s'est alors pas opposée à me montrer l'animal.
Le propriétaire du chien devant une porte de cagibi se met à dégager des boîtes en carton, puis deux vélos qui était posés contre. Il ouvre la porte, et je découvre un chien assis dans une épaisseur d'excréments, dans une sorte de petit placard dont la lumière du jour entrait à peine au travers des barreaux en béton. Le chien remuait la queue. Il présentait quelques escarres dues à des blessures. Je discute avec le propriétaire, je lui demande depuis combien de temps il est là-dedans, et pourquoi ? Il me répond 6 ans, et qu'il était dans le placard parce que selon lui un chien n'a pas sa place dans un appartement.
Je n'avais pas besoin d'en entendre plus. Je lui réponds que je ne peux pas lui laisser le chien, que pour moi s'il n'avait pas sa place dans l'appartement, il ne pouvait pas non plus l'avoir dans un placard. Je lui dis : « j'emmène le chien, et vous me signez un document. Si vous n'êtes pas d'accord, je reviens avec les gendarmes. » Le propriétaire sans résistance, m'a signé le document comme quoi il renonçait à la propriété du chien (ce qui n'empêche pas de déposer une plainte par la suite), et il m'a laissé prendre l'animal.
J'étais en bas de l'immeuble avec le chien qu'il m'a été impossible de transporter dans ma voiture personnelle, tant son odeur était forte et son corps recouvert d'excréments. Un collègue de la SPA est venu le chercher. En attendant, le chien découvrait l'herbe, la terre et même un caillou pour jouer. La fin de cette histoire a été plus ou moins heureuse, puisqu'une famille d'accueil, chaleureuse et aimante avait été trouvée, mais malheureusement il est décédé quelques mois après.
3. Mon choix de passer aux animaux d'abattoirs
Alors voilà, pourquoi avoir quitté la SPA pour les animaux d'abattoirs ? Parce j'allais souvent voir ce qui se passait à l'ancien abattoir de Strasbourg lors des déchargements, puis il m'avait semblé que tous les animaux méritaient d'être secourus, même ceux finissant dans l'assiette. Nous sauvions des chiens et des chats, mais les cochons et les vaches n'attiraient pas la compassion. Maintenant, il faut dire qu'il y a beaucoup à faire avec les animaux de compagnie comme les chiens et les chats, c'est une spécialisation dans la protection animale. Je puis vous dire que ce travail est rude, et qu'il faut parfois avoir le cœur bien accroché tant les horreurs dont ont affaire les SPA sont dures à supporter. Notons, que ce qui se passe au travers des SPA est comme un baromètre qui indique le niveau de déchéance et d'appauvrissement de la conscience humaine de notre société.
En dehors de mes heures de travail, j'allais, le matin, le soir ou la nuit, derrière l'abattoir qui était classé lanterne rouge parmi les abattoirs de France. Je guettais caché derrière les parois en béton. J'assistais à des mauvais traitements qu'infligeait aux animaux le personnel ou les chauffeurs des camions. Les vaches qui n'avançaient pas étaient frappées, à coups de bâtons sur les os des pattes, sur la croupe avec éclatement de la chaire, à coups de bâtons sur les naseaux avec saignement profus, à coups de fourches, ou par la torsion de la queue…
Pour les cochons ce n'était pas mieux, beaucoup d'entre eux gisaient morts sur les quais. Un chauffeur les déchargeait en ouvrant en grand les portes du camion, il leur donnait des coups de piles électriques sur n'importe quelle partie du corps, même sur la tête et sur le groin. Les cochons apeurés tombaient du camion les uns sur les autres.
Un jour, j'assistais au déchargement d'une truie qui ne pouvait pas marcher. La nacelle arrière du camion avait été descendue jusqu'à la hauteur d'une caisse roulante. La truie a été poussée dedans à coup de bâton. Elle était tombée dans la caisse la tête vers le bas, le reste du corps dépassait. C'est alors à l'aide de coups de pieds que le chauffeur tentait de faire rentrer tout le reste du corps dans la caisse. Mais la truie avait la tête en bas et l'arrière train en l'air comme si elle n'était qu'un sac de pommes de terre, et encore que les pommes de terre, si vous les cognez, elles s'abîment vite, alors on fait attention.
Un autre jour, une vache s'était échappée dans l'enceinte de l'abattoir. Plusieurs employés lui avaient courue après en la matraquant de coups de bâtons pour tenter de la faire revenir vers le local d'abattage.
Le soir des camions se garaient derrière l'abattoir pour y passer la nuit au lieu de décharger les bovins et de les abreuver en eau. Les transports s'étaient effectués toute la journée sous un soleil de plomb. Les animaux étaient serrés dans le camion, seules de petites ouvertures leur permettaient de sortir les naseaux pour prendre de l'air. Les bovins meuglaient désespérément, alors qu'ils ne pouvaient plus se tenir debout à l'intérieur et qu'ils avaient soifs pendant que le chauffeur dormait dans sa cabine. Un soir le chauffeur m'ayant aperçu a déplacé le camion vers le poste du gardien de l'abattoir.
Un autre soir, j'ai réussi à faire dégager une vache qui était couchée, car elle ne pouvait plus se relever à cause des autres qui la coinçaient. Malheureusement, sur les photos que j'avais prises, on pouvait apercevoir une autre vache qui était apparemment morte, également coincée et que je n'avais pas vu parce qu'il faisait nuit.
À cette époque je ne savais pas comment intervenir pour les gros animaux. La direction des Services Vétérinaires avait ses bureaux juste en face de l'abattoir, je n'ai jamais assisté à une intervention quelconque de leur part.
J'ai alors été recommandé à l'OABA, l'association dont faisait partie Gil Raconis, par une dame qui travaillait pour la SPA. La présidente d'alors, qui était végétarienne, me trouvait trop gringalet pour devenir enquêteur dans le milieu des abattoirs. C'est vrai, je n'avais pas la carrure de Gil, et je n'étais pas cascadeur comme lui, mais au fur et à mesure des enquêtes je devenais redoutable.
Bien sûr je me suis fait brutaliser ou parfois frapper dessus sur un marché aux bestiaux. Les tentatives d'intimidation étaient nombreuses, et les menaces de mort aussi. Je me souviens sur un marché aux bestiaux, on m'avait menacé de me pendre sous la charpente en bois, si je ne quittais pas le site. Je suis alors parti, et j'ai téléphoné au directeur des Services Vétérinaires du département en question pour lui rendre compte des horreurs que j'avais vues. Il m'avait alors répondu : « je ne peux pas intervenir car il me faudrait un escadron de gendarmerie, c'est trop dangereux ! », c'est vous dire les problèmes qu'il y avait sur ce marché et la crainte des autorités compétentes à cette époque.
Par contre plusieurs années après sur un autre marché, le directeur me réconforta en me disant que chez lui, il ne m'arriverait rien, que j'étais sous sa protection. Cela m'avait beaucoup rassuré.
Lorsque j'ai commencé à faire de la protection animale en abattoir, l'entourage me disait, « mais pourquoi tu fais cela ? de toutes façons les animaux sont fait pour être mangés » ou alors « tu veux éviter quelles souffrances, pour faire quoi ? de toutes façons ils vont être tués ». Heureusement, je crois que ce temps-là est révolu, du moins je l'espère. Il reste encore quelques réflexions comme, « et qu'est-ce que vous faites des enfants ? des handicapés, et les prisonniers de Guantanamo ? etcetera , etcetera » Comme si le fait de faire de la protection animale nous rendait responsable des autres souffrances humaines.
Nous faisons déjà quelque chose à notre échelle, et même parfois des amis des animaux sont engagés sur les deux fronts, sur le plan Humain et Animal. Je dirais qu'il ne doit pas y avoir de hiérarchie, et non plus entre les souffrances, sauf peut-être dans les priorités, mais il ne doit pas y avoir de hiérarchie entre les espèces. Pourquoi s'occuper plus des enfants que des personnes âgées ? Pourquoi collectionner des timbres, ou faire partie d'une association de sauvegarde des Menhirs en Bretagne ? Ce n'est pas parce qu'un médecin s'occuperait d'une personne qui aurait le bras cassée, qu'un autre ne devrait pas s'occuper d'une personne ayant une entorse à la cheville.
En ce qui me concerne, je suis éducateur technique spécialisé. J'accompagne dans mon travail des personnes handicapées mentales dans le cadre de travaux en Espaces Verts. Mais, bon là, je suis en train de me justifier, alors qu'il n'y a pas lieu de le faire, et toute personne suffisamment intelligente ne posera pas de questions basses et idiotes !
Je fais juste un aparté concernant la SPA de Paris dont a pris la 39ème présidence Caroline Lanty, car il y a là selon moi un changement important. Il me semble avoir lu un article de presse où elle disait que les kermesses SPA où l'on sert de la viande pour la restauration des fêtes ç'en serait fini. Outre son engagement fort dans la protection animale, je crois que c'est une bonne chose, parce que j'étais l'année dernière à une fête des animaux dans un refuge où l'on recueille entre autres des animaux sauvés de l'abattoir. Et pourtant on y servait des saucisses, des merguez et du jambon… bon, c'est un autre débat, mais il y a là matière à réfléchir.
4. Pour les abattoirs, quel est le travail d'un enquêteur ?
Il s'agit de veiller aux respects de la réglementation selon le Décret du 1er octobre 1997 et de l'Arrêté du 12 décembre 1997 relatif aux procédés d'immobilisation, d'étourdissement et de mise à mort des animaux et aux conditions de protection animale dans les abattoirs. Il s'agit d'apporter de l'aide aux animaux en détresse ou en souffrance, et parfois il faut demander à l'abattoir un abattage immédiat pour abréger des souffrances.
Il s'agit aussi d'apporter des conseils pour améliorer la condition des animaux lors de leur unique passage à l'abattoir. Par exemple ; dans un petit abattoir de Bretagne, l'employé avait tout le mal du monde à faire entrer les cochons dans un piège rectangulaire aux parois blanches. J'ai conseillé à la direction de repeindre les parois intérieures en brun ou en noir. Le blanc étant effrayant pour les animaux. S'ils reconnaissent du brun, du noir, voire du gris, des couleurs qui leur sont familières ils avanceront plus facilement.
Dans certains grands abattoirs, la tenue blanche en porcherie ou en bouverie est interdite. Certains abattoirs ont mis des lumières tamisées à l'entrée des pièges pour les productions à cadences élevées. Ca apporte un plus en matière de bien-être animal, mais c'est aussi pour éviter une perte de temps à faire avancer coûte que coûte les porcs dans le couloir qui les mène au piège, et évitant ainsi la montée d'un stress qui aurait des conséquences sur la qualité de la viande.
Il s'agit aussi de relever les infractions, d'en discuter avec le directeur de l'abattoir pour voir si une amélioration peut être mise en place, ou de les faire remonter à la Direction des Services Vétérinaires ou plus loin au Ministère de l'Agriculture. Mais, il m'a toujours paru curieux d'être obligé de faire remonter les informations aux Services Vétérinaires puisque leurs agents sont dans les abattoirs pour contrôler l'hygiène et la salubrité alimentaire, mais aussi pour contrôler le respect des normes en matière de protection animale. Apparemment, il est constaté que certaines choses leur échapperaient vu le nombre relevé d'infractions ou de maltraitance en abattoir.
5. Sentiments personnels
Les enquêtes d'abattoirs sont difficiles à réaliser, Gil le disait : nous pataugeons dans le sang. C'est vrai nous devons supporter les cris des animaux, de ces êtres innocents qui sont apeurés et qui sont dans une certaine détresse. Il faut avoir la veille s'être déplacé parfois toute la journée en se rendant d'un point à un autre. Il faut trouver l'hôtel, il faut se lever tôt dans la nuit, et trouver son chemin pour arriver à l'abattoir. Il faut ensuite se rendre dans un milieu plus ou moins hostile. Il faut affronter un milieu où règne l'horreur, et cela même lorsqu'un abattoir respecte toutes les normes.
Pour moi, l'abattage d'un animal qui finit dans notre assiette, c'est l'abattage d'un innocent, ça revient à effectuer un acte violent, car on enlève une vie qui pourrait continuer à vivre. Acte violent parce que lors d'abattage rituel, le passage dans la gorge de la lame du couteau du sacrificateur ne peut être que douloureux, même s'ils disent le contraire et que cela semble aller vite. Nous, les humains, pour la moindre opération nous nous faisons anesthésier, de façon locale ou générale.
Proportionnellement quand on vous tranche la gorge, ça doit faire très mal, il n'y a même pas besoin d'explications scientifiques, le bon sens suffit. Il n'y a qu'à voir la vidéo qui circulait sur Internet au sujet d'une exécution d'un soldat américain par des combattants Irakiens. Lors de son égorgement, il criait de douleur. Il y a un jour, dans un abattoir, un sacrificateur rituel qui m'a dit : « nous ne pouvons pas utiliser l'étourdissement, parce qu'il faut que l'animal soit bien vivant au moment de l'égorgement, il faut même qu'il bouge les pattes pendant l'égorgement, ça montre que cela lui fait mal, et ça prouve qu'il est bien vivant ! ». Sans commentaire !
Les abattages sont un acte violent parce que même avec un étourdissement, il y a le lieu, l'odeur du sang, les cris des autres animaux, les bruits métalliques, les cadences de production qui font que le personnel pousse coûte que coûte d'une façon ou d'une autre les animaux dans le piège où se passe la mise à mort. Se prendre une décharge électrique derrière les oreilles ou une tige qui perfore le crâne jusqu'à la cervelle, en guise d'étourdissement ça reste assez violent. Mais c'est toujours mieux qu'un égorgement en pleine conscience, car le but de l'étourdissement c'est de plonger rapidement l'animal dans un état d'inconscience, jusqu'à la fin de la saignée, c'est à dire jusqu'au dernier souffle.
6. À propos des abattage sans étourdissement
L'arrêté du 12 décembre 1997 stipule en son annexe III que les matériels utilisés pour l'étourdissement des animaux doivent être en toutes circonstances immédiatement efficaces dans leur emploi de façon à plonger l'animal dans un état d'inconscience où il est maintenu jusqu'à l'intervention de la mort afin de lui éviter toute souffrance. Mais l'article 8 du Décret 97-903 du 1er octobre 1997 dit que l'étourdissement des animaux est obligatoire avant l'abattage ou la mise à mort, à l'exception de l'abattage rituel. Il y a là une injustice, tous les animaux n'ont pas les mêmes droits. Ceux destinés à l'abattage classique ont droit à un étourdissement qui est prévu pour leur éviter des souffrances, tandis que ceux destinés à l'abattage rituel musulman ou juif, n'y ont pas droit. Il est donc toléré que certains animaux peuvent souffrir plus que d'autres, et cela au nom d'une religion.
Alors pourquoi les dirigeants ne prennent-ils pas leurs responsabilités à cet égard ? Certainement pour maintenir une certaine paix sociale. Et peut-être pour protéger les intérêts économiques car si l'étourdissement était rendu obligatoire à tous les modes d'abattage, peut-être que cela créerait un appel vers l'importation de viande issue d'animaux tués sans étourdissement, et rituellement. Le problème de l'abattage sans étourdissement a été débattu lors du Grenelle des Animaux qui s'est déroulé cette année, pour l'instant cette question est dans l'impasse.
Par contre ce qu'il faut savoir, c'est qu'une grosse partie des animaux abattus selon un mode rituel passe dans le circuit alimentaire classique des non-pratiquants juifs ou musulmans, et cela à l'insu des consommateurs. En effet, lors de l'abattage juif les parties arrières jusqu'à la huitième côte pour les bovins, en plus d'un certain nombre de carcasses entières (parfois plus de 50 %) sont refusées par l'abatteur juif (le shohet) après une inspection post mortem. Il vérifie la carcasse et les principaux viscères afin de valider définitivement l'aspect Cascher ou non. Si ce n'est pas le cas, la carcasse de l'animal abattu rituellement retourne dans le circuit classique de la consommation (boucheries, restaurants, collectivités, hypermarchés…).
Dans le cadre des abattages rituels musulmans, les moutons sont très souvent tous abattus rituellement y compris ceux qui sont destinés à la consommation classique. En Belgique, tous les moutons sans exception seraient abattus rituellement. Les boucheries musulmanes achetant les boyaux, le choix est fait par l'abattoir ou par un grossiste d'abattre en rituel tous les ovins, même ceux étant destinés à l'abattage classique. Ceci afin de récupérer les boyaux avec l'appellation Halal. Les carcasses de moutons rejoignent ensuite le circuit classique. Pour les gros bovins, principalement pour des raisons économiques, en général seules les parties avants seraient vendues sur les étales Halal, le reste repartirait dans le circuit classique.
Non seulement le consommateur n'est pas informé, mais en plus ces animaux sont abattus sans étourdissement et sont orientés vers les étals de la consommation de Monsieur et Madame Tout le monde alors qu'ils auraient dû faire l'objet d'un étourdissement suivant le décret de 1964 et repris en 1997.
Si les communautés religieuses concernées disent que les moyens d'étourdissement actuels ne les satisfont pas, à ce moment là, il suffit donc d'en rechercher d'autres qui puissent permettre de trouver un terrain d'entente satisfaisant pour tout le monde, et pour le bien des animaux. Bien que l'électronarcose, moyen d'étourdissement actuel soit réversible, l'animal ne meurt pas, donc la viande pourrait être considérée comme Halal ou Casher, mais il y a malgré tout des réticences.
Il faut savoir que c'est beaucoup plus stressant et apeurant pour un animal d'être abattu en rituel. Prenons l'exemple d'un abattage rituel d'un bovin. Au bout d'un couloir, il doit entrer dans un box métallique ou seule la tête dépasse. Rien qu'à la vue du box qui est en fait une sorte de gros tambour de machine à laver, l'animal est apeuré. Ensuite, le bovin est compressé par les côtés et par l'arrière avec des plaques métalliques qui se rabattent sur lui, une mentonnière vient lui lever la tête par dessous la gorge, puis le box est retourné de façon à ce que l'animal ait les quatre pattes en l'air et qu'il se retrouve sur le dos. Je ne pense pas que ce soit une position tout à fait naturelle pour un animal ! Je vous laisse imaginer la terreur que peut ressentir le bovin, il y en a qui lâche leurs urines, d'autres ont les yeux qui sortent de leur orbite ou parfois les bovins meuglent de panique et de peur. Il est alors horrible d'entendre leurs gémissements s'éteindre au fur et à mesure que la gorge est tranchée.
Tandis qu'en abattage non rituel, le bovin reste debout dans un piège rectangulaire ouvert sur le dessus. L'étourdissement est appliqué sur le crâne à l'aide d'un pistolet à tige perforante, appelé souvent Matador. C'est très rapide, il ne reste plus qu'à le suspendre et à le saigner. Il y a un bémol, c'est que souvent on utilise également le box rotatif pour l'abattage classique. Dans ce cas, l'animal n'est pas retourné, mais cette machine métallique reste source de frayeurs.
Je n'alimenterai pas plus le débat sur l'abattage sans étourdissement en tant que personne car c'est un sujet sensible. Je laisse le soins aux associations, aux scientifiques spécialisés et aux autorités compétentes de le faire. Mais, il serait grand temps de se pencher une fois pour toute sur ce problème.
Ce porte à faux sur la tolérance du non étourdissement pose problème dans les abattoirs même. Il est très mal perçu par le personnel qui est obligé de se servir du matériel d'étourdissement, car il montre du doigt ceux qui ne l'utilisent pas. Un jour dans un abattoir, j'ai fait remarquer à un employé qu'il effectuait mal les étourdissements. Il m'a alors répondu : « regardez là-bas sur la chaîne d'abattage rituel, ils n'en font pas du tout, vous trouvez cela normal ? ». Qu'est-ce que vous vouliez que je lui réponde, s'il y a des lois à deux vitesses…
7. Des infractions toujours en cours
Je vais vous parler, maintenant d'infractions qui perdurent. Le premier grand résultat en matière d'abattage, c'est le décret de 1964 qui réglementait la contention et la mise à mort des animaux de boucherie et de charcuterie. C'en est suivi, le décret du 1er octobre 1980, du 18 mai 1981, une Directive Européenne de 1993, le décret du 1er octobre 1997 suivi de l'arrêté du 12 décembre 1997.
On peut apprécier le décret de 1964 qui rendait l'obligation d'étourdire les animaux avant leur mise à mort, sauf pour les abattages rituels et la corrida. Mais ce qui est important de relever c'est la difficulté ou la mauvaise volonté à appliquer la réglementation en matière de protection animale, alors même que les Services Vétérinaires se trouvent dans les abattoirs. Depuis 1964, et repris par la suite par les différentes réglementations, il est interdit de suspendre un animal vivant par les pattes, et pourtant aujourd'hui ça se pratique encore dans certains abattoirs. La Directive Européenne n°93/119 sur les abattages qui date de 1993, mais qui n'a été retranscrite en droit français qu'en 1997 redéfinit les règles de protection animale qui existaient déjà en grande partie. L'arrêté et le décret de 1997 devaient permettre de passer à une vitesse supérieure, or cela fait plus de dix ans (depuis ce dernier texte), mais en réalité cela fait plus de 20, 30, voire 40 ans que certaines infractions perdurent, en laissant en souffrance des millions d'animaux qui sont passés dans les abattoirs.
Dans une circulaire interne du Ministère de l'Agriculture en date du 24 juin 1998, le signataire explique la nécessité de mettre en œuvre le décret de 1997, qui pourtant reprend en partie des dispositions précédentes des autres textes de loi. Je cite cette phrase de la circulaire qui était adressée aux Préfets et aux Directeurs des Services Vétérinaires : « j'insiste sur la nécessité de veiller particulièrement désormais au respect des conditions de protection animale notamment dans les abattoirs, sur les lieux d'élevage, ainsi que dans les couvoirs. En effet, ces postes ont trop souvent été négligés… ».
Mais voilà, dix ans après nous nous ne retrouvons encore avec un certain nombre d'infractions. Je ne vais en citer quelques unes :
- On constate encore l'absence de contention mécanique obligatoire pour l'abattage rituel
- On effectue un étourdissement dans la nuque des veaux, en lieu et place de la partie frontale, cela pour ne pas abîmer la cervelle afin de la commercialiser. Cet étourdissement n'est pas réglementaire, il est inefficace et douloureux pour le veaux selon un vétérinaire.
- En abattage rituel, les bovins sont parfois évacués du box piège et suspendus conscients, car après l'égorgement les employés n'attentent pas, avant de les suspendre, la fin de la saignée qui plonge l'animal dans la mort. (J'ai déjà vu dans un abattoir, il y a plusieurs années qu'on commençait à découper la tête ou les pattes alors que les bovins perdaient seulement leur sang et n'étaient pas encore morts)
- En abattage d'urgence, on constate que les animaux blessés ne sont pas toujours abattus de suite comme il se doit et selon le caractère d'abattage d'urgence, mais qu'ils sont laissés en souffrance. De même, les conditions de chargement et déchargement des ces animaux blessés reste également à revoir.
- Il y a aussi le problème de compétence de certains sacrificateurs en rituel notamment pour les sacrificateurs musulmans, car il suffit d'une autorisation des Mosquées agréées pour être apte à devenir sacrificateur, sans avoir de réelles compétences.
Je dois, toutefois, dire qu'il y a une amélioration dans certains établissements d'abattoirs qui font maintenant très attention au respect de l'animal et à son bien-être lors de cette étape à l'abattoir. Il y en a qui s'en sont toujours préoccupés. J'ai visité récemment un abattoir où dans la bouverie de la musique celtique était diffusée pour les vaches en attente. Pourquoi pas, si en plus ça peut faire bénéficier des droits d'auteur pour l'artiste ! Dans la bouverie, les animaux profitaient de paille propre et d'eau clair à volonté. Mais, était-ce vraiment représentatif, car pour cette visite il avait fallu la programmer et donc prendre un RDV. Nous ne visions pas spécialement cet abattoir, mais il faisait partie d'une enquête générale.
8. Le grand problème des truies (coches)
Je vais évoquer maintenant le problème persistant de la prise en charge de ce qu'on appelle les « mal à pied » en référence aux cochons et aux truies qui sont blessés ou malades et qui ne peuvent pas marcher. (Les truies sont appelées dans le jargon des coches). Pourtant, ces animaux ne devraient même pas arriver en abattoir puisque dés le départ ils devraient être déclarés inaptes aux transports selon l'arrêté du 5 novembre 1996 (modifié par l'arrêté du 24 novembre 1999) relatif à la protection des animaux en cours de transport. Je cite en partie l'article 2 : « les animaux malades ou blessés sont déclarés comme inaptes aux transports », sauf ceux étant légèrement blessé.
La réglementation européenne (n°1/2005 CE) protégeant les animaux lors des transports renforce ces dispositions en précisant la notion d'aptitude au transport. Sont notamment considérés inaptes au transport : « les animaux incapables de bouger par eux-mêmes sans souffrir ou de se déplacer sans assistance et les animaux présentant une blessure ouverte grave ou un prolapsus. » Ce problème est à régler entre les coopératives, les groupements, les éleveurs, les services vétérinaires, et les abattoirs car cela touche l'ensemble de la filière porcine.
Ces animaux ne doivent normalement pas faire partie des convois qui vont à l'abattoir. Or, et depuis des décennies les animaux qui ne peuvent se mouvoir d'eux-mêmes sont chargés dans les camions, parfois piétinés par leurs congénères pendant le transport. Il s'agit notamment des coches qui sont réformées. Ces coches sont élevées dans des systèmes d'exploitation industriels et intensifs. Elles passent la plupart de leur vie dans des stalles, sorte de cages métalliques d'où elles ne peuvent bouger, seule la position couchée ou debout leur est permise. Il en d'écoule des problèmes d'aplomb, d'articulation, de boiterie ou de faiblesses musculaires, mais aussi des problèmes de comportements, de stress, d'inconfort et de mal-être. Ces problèmes sont exclusivement dus à l'élevage intensif, on en retrouve pas dans les élevages bio, en plein air, ou dans les élevages extensifs sur de la paille avec de l'espace et de la lumière du jour.
Une coche peut peser jusqu'à 250 kilos, voire 300. Il faut s'imaginer que si l'une d'entre elles s'écroule sur le lieu d'élevage dans sa misérable cage, parce qu'elle n'en peut plus des conditions d'élevage dans lesquelles elle se trouve, parce qu'elle n'en peut plus d'être sans cesse inséminée artificiellement pour donner un rendement maximum en petits porcelets, elle devient donc encombrante.
Les coches qui ne tiennent plus debout sont chargées à l'aide de barre en fer, de treuil, tirées au bout d'un câble métallique, augmentant ainsi leurs blessures. C'est interdit, mais c'est encore pratiqué. A l'abattoir aussi, elles sont sorties des camions à l'aide d'un treuil, parfois suspendues en l'air jusqu'au poste d'abattage. C'est interdit, elles doivent être tuées ou euthanasiées là où elles se trouvent, dans le camion, sur le quai ou dans la case de parcage. Je cite le passage de la Directive Européenne 93/119 : « Les animaux incapables de se mouvoir ne doivent pas être traînés jusqu'au lieu de l'abattage mais être mis à mort là où ils sont couchés ou, lorsque c'est possible et que cela n'entraîne aucune souffrance inutile, transportés sur un chariot ou plaque roulante jusqu'au local d'abattage d'urgence. » (I, 6, annexe A)
Il y a quelques années j'assistais à la présence de coches en état de misère physiologique (maigreurs extrêmes, blessures graves mal soignées). Elles avaient été laissées longtemps sur le lieu d'élevage jusqu'au départ d'un lot vers l'abattoirs, et sans pouvoir se nourrire. Leur arrivée en abattoir a diminué avec la crise de la vache folle.
Il y a un changement de pratique de certains établissements d'abattage, notamment grâce à l'intervention médiatique de l'importante association la Protection Mondiale des Animaux de Ferme (la PMAF). Certains établissements se sont mis en conformité, les truies sont alors euthanasiées, soit dans le camion, soit sur le quai. Mais quand est-il lorsqu'elles sont déchargées en dehors des heures de fonctionnement des abattages ?
J'avais déjà soulevé le problème, après des visites d'abattoirs en 1997, 1998, en 2001, 2002 et en 2003, mais le bureau de la Protection Animale du ministère de l'Agriculture d'alors, ne semblait aucunement réagir, et n'avait jamais répondu aux courriers. Un trop lourd dossier dont parallèlement la crise de l'encéphalite spongiforme bovine avait permis un petit changement. Les coches malades et blessées devenant douteuses étaient alors le plus souvent euthanasiées à l'abattoir, mais dans des conditions de déchargement et de manipulations non conformes. Elles arrivaient et arrivent encore aujourd'hui en étant blessées et le plus souvent sans le CVI, le Certificat Vétérinaire d'Information. Le CVI est obligatoire pour tout animal qui arrive blessé à l'abattoir selon l'arrêté du 9 juin 2000, modifié par arrêté du 20 décembre 2000. L'animal malade ou blessé doit faire l'objet d'un diagnostique sur le lieu d'élevage par un vétérinaire qui décide ou non de son envoie à l'abattoir.
En novembre 2006 la PMAF, et Animals Angels (association allemande) avait enquêté, et s'étaient heureusement inquiétées du sort des « mal à pied ». La PMAF a fait alors diffuser au journal télévisé de 20h, un document qui relatait ce problème et qui montrait qu'il est toujours là. Une crainte monstre s'est alors mise en place dans la filière porcine et dans le milieu des abattoirs porcins. Une association qui vient documenter un problème de non respect de la réglementation de protection animale, qui renvoie cela sur la place public, ce qui créé un impact sur l'image de bons élèves qu'essayent de se donner les filières, ça a fait du tord, mais du bien à la protection animale. Je pense que ce genre d'action est plus efficace que de faire des visites d'abattoirs dont les courriers restent parfois sans réponses.
Toutefois, lors de nouvelles enquêtes, en fin 2007 et début 2008, auxquelles j'ai participées avec la Protection Mondiale des Animaux de Ferme nous avons constaté encore des problèmes concernant la prise en charge des « mal à pied ». Nous avons pu obtenir des résultats au cas par cas, les responsables étant soucieux d'apporter une action corrective, et peut-être de ne pas passer au journal de 20h. Cependant, je les remercie des améliorations qu'ils auront pu mettre en œuvre, dans la mesure où elles sont vraiment concrètes.
Il reste, entre autres, le problème des truies et des cochons inaptes aux transports, la question qui se pose est « qui fait venir le vétérinaire sur le lieu d'élevage ? et que devient l'animal malade qui n'est pas envoyé à l'abattoir ?», Voici la réponse que l'on m'a faite : « impossible de faire venir un vétérinaire ça reviendrait trop cher, et il n'y aurait pas assez de vétérinaires » m'a t-on dit ! , mais alors : « qui euthanasie l'animal, sur le lieu d'élevage intensif et concentrationnaire, et par quelle méthode ? », ça reste en suspend.
Voilà donc un gros dossier dont j'espère que le nouveau Chef du bureau de la protection animale du Ministère de l'Agriculture prendra à cœur de résoudre après des décennies de souffrances pour des milliers de coches et de cochons. Il y aurait une solution radicale , mais néanmoins efficace si l'on supprimait les élevages intensifs et concentrationnaires de porcs, on règlerait déjà ce gros problème par l'absence de production d'animaux mal en point.
9. Le personnel d'abattoir et une transition avec une enquête de l'association L214
En ce qui concerne le personnel d'abattoir, je ne parlerai que de quelques cas comme celui d'un tueur qui étourdissait les cochons à l'aide d'une pince électrique.
Il était tétanisé par ma présence. Souvent lorsque j'arrivais dans un abattoir, l'information faisait vite le tour et se passait d'employé à employé, du style : « attention il y a le monsieur de la protection animale ». Ce tueur de cochons, il était tellement stressé par ma présence qu'il faisait beaucoup de manières, il me faisait comprendre que son métier était dur, qu'il avait mal au bras, qu'il avait peur que les cochons suspendus lui retombent sur la tête.
Il insistait si longtemps avec la pince électrique sur les cochons, que ce n'était plus un étourdissement électrique avec un simple choc, mais une mise à mort par électrocution. Mais, ce monsieur pensait bien faire. Par contre, il ne se rendait même pas compte qu'il était en pleine infraction, il pratiquait l'électronarcose après la suspension, en suspendant d'abord les cochons par une patte arrière, ce qui est interdit. Ce n'était plus un étourdissement, car les cochons étaient tués avec la pince électrique.
Il m'est arrivé lors d'une visite d'un petit abattoir, de devoir attendre le retour du directeur parce qu'il était parti à la chasse. Une autre fois j'avais visité tous les abattoirs d'un même département, et le dernier jour, au dernier abattoir, je me présente au directeur qui me dit : « je vous attendais !». L'information de ma présence avait circulé.
Il faut aussi devoir subir la colère des directeurs, parce que dans le maillon des contrôles pour eux nous sommes un contrôle de plus, et parfois de trop. Je cite : « je n'ai rien contre vous, mais là ç'en est trop, j'ai un audit surprise aujourd'hui, cette semaine j'avais un contrôle du fisc, la semaine dernière un contrôle ESB, et vous maintenant un contrôle de protection animale ».
Ce n'est pas toujours évident à gérer, mais cela était encore moins auparavant parce qu'il y a une dizaine d'année faire un contrôle de protection animale, c'était très mal apprécié. Aujourd'hui, on ne peut pas dire que c'est apprécié, mais vue la demande de respect de l'animal par les consommateurs, il est préférable de laisser un membre de la protection animale entrer dans un abattoir pour mettre en avant la transparence, et la bonne volonté des intervenants, et aussi pour montrer l'application de bonnes pratiques.
Il y a aussi, les moqueries du personnel, ou les tentatives d'intimidation, on passe près de vous avec le couteau pointé face à vous, ça peut faire un peu peur, ne serait-ce qu'avec le risque d'accident. Il y a aussi la pression qui peut être exercée par les responsables : « je vous laisse visiter mon abattoir, mais je ne veux pas de vagues ! ».
Autre cas difficile, c'est une responsable d'abattoir qui voulait, absolument, me mettre dans les mains le pistolet à tige perforante, qui servait à étourdir les bovins, mais qui avait été utilisé par un employé pour se suicider. Il s'agissait là aussi de m'intimider.
Il y a eu un sacrificateur musulman qui est parti en courant, en se sauvant de l'abattoir, sachant que j'étais là en visite. En fait, il n'était pas en possession d'une autorisation de sacrificateur, c'était un simple marchant de boucherie. Le directeur d'abattoir m'avait alors dit qu'il ne le connaissait pas, mais c'était un employé qui m'avait averti de sa présence, car selon lui il ne savait pas égorger un animal.
Il y avait aussi les Services Vétérinaires qui ayant appris ma présence dans un abattoir, se montraient, me suivaient à la trace, me demandaient ma carte d'enquêteur, et vérifiaient si j'avais bien l'équipement vestimentaire relatif à l'hygiène alimentaire, pour voir si moi-même je ne commettais pas une infraction !
Mais, je dois le dire, il y a eu et il y a aussi des responsables d'abattoirs et des membres des Services Vétérinaires totalement coopératifs.
Les responsables d'abattoirs ont du mal à recruter du personnel, notamment en secteur sale (bouverie, porcherie, aux postes cruciaux de la tuerie, à la découpe de la tête et des pattes, à l'écorchage, et même dans la partie du secteur propre (à l'éviscération, tranchage, désossage…).
A la manipulation des animaux ou à la tuerie, le personnel doit être formé selon l'article 10 du de l'arrêté du 12 décembre 1997, je cite : « Le responsable de l'abattoir doit mettre en place un programme de formation du personnel permettant à ce dernier de se conformer aux conditions de la protection animale, adapté à sa structure de production. Le vétérinaire officiel responsable de l'établissement doit être associé à la conception et au suivi de ce programme ».
C'est donc obligatoire. Souvent, pour s'excuser des mauvaises pratiques, les responsables me disaient, « ce sont des remplaçants, des intérimaires », « il y a des vacances, ou des arrêts maladies » me disait-on !, « vous comprenez on ne trouve plus personne qui veuille faire ce genre de travail ! ».
C'est toujours le même discours, on retrouve encore ce genre de propos. La preuve en est donnée sur le site Internet de l'admirable jeune association de protection des animaux « L214 » qui a un dossier intéressant sur une enquête d'abattoir de volailles que l'association a menée en Alsace. Un responsable de l'abattoir pour sa défense met à nouveau la faute sur l'opérateur des abattages. Je cite un passage de l'article de presse paru en février 2008 dans le quotidien les Dernières Nouvelles d'Alsace : « Ils sont venus pendant les vacances, au moment où on a des jobs d'été, qui ne connaissent pas aussi bien les procédures ».
Je suis allé voir sur le site Internet de l'abattoir en question. Le développement argumentaire en ce qui concerne leurs activités, tient en quelques mots sur l'exigence de la qualité, je cite : « Au cœur de l'Alsace depuis toujours, les Volailles « que nous produisons » jouissent d'une réputation sans faille justifiée par une démarche de qualité constante » et encore « Notre méthode d'abattage, de découpe et de conditionnement met en œuvre un savoir faire appuyé par des technologies modernes ». Pourtant, les infractions filmées sont bien un manquement de procédures, de qualités, et de respect à la réglementation des animaux lors de leur abattage.
L'abattoir mettrait donc, puisque c'est avoué dans l'article de presse, des personnes sans compétences à des postes aussi cruciaux que la tuerie, avec des répercussions qui sont critiquables sur l'animal vivant !
L'association L214 souligne qu'il s'agit en fait d'une défaillance générale du fonctionnement, je vous donne pour exemple le résumé que j'ai fait : « la chaîne d'abattage des volailles était arrêtée longtemps alors qu'il y avait encore des poulets vivants suspendus par les pattes, et lorsque la chaîne redémarrait ceux qui avaient été étourdis par un bain à électrolyse, avaient eu le temps de reprendre consciences, et étaient ensuite saignés vivants. Les autres qui étaient arrivés vers la lame de coupe automatique, s'étaient sortis de la tringlerie qui les maintenait en position vers la saignée automatique, du coup, ils n'étaient pas saignés et passaient vivants aux opérations d'échaudage ».
Là encore, les images qui ont été filmées, sont nécessaires pour informer des pratiques susceptibles d'infliger des souffrances aux animaux dans les abattoirs. Elles permettent de faire pression pour obtenir des résultats. Elles donnent la preuve des faits dont L214 a su avec justesse relever les infractions et trouver chaque article de loi qui corresponds à celles-ci. Notons que cet abattoir a été subventionné de 67 000 euros par le « Fond Social Européen » pour la formation du personnel (environ 200 personnes). 85 à 100 000 volailles y seraient tuées par semaine, ainsi que 15 000 lapins. En 2006, il y aurait un chiffre d'affaire de 32 millions d'euros. On est en droit de penser qu'avec ces chiffres et l'aide du « Fond Social Européen », il pourrait être fait quelques choses de supplémentaire pour que la loi soit respectée et qu'il soit évité d'engendrer, pendant les abattages, de la souffrance animale.
10. Pour conclure, alors qu'est-ce qui peut donner espoir, si espoir il peut y avoir dans un abattoir !
Eh bien en premier il y a de plus en plus de végétariens, c'est un espoir pour les animaux. Et de plus en plus d'abattoirs ont fermé. C'est vrai, sur la distance d'une vingtaine d'années, il y a deux fois moins d'abattoirs, car beaucoup ont fermé. Mais en parallèle il y a 10 % d'activité en plus, donc ce n'est pas parce qu'ils ont fermés qu'il y a moins de production carnée. Il y a de gros abattoirs qui ont augmentés leur production. Mais cela ne veut pas dire que toute cette viande est consommée en France, car il y a de l'exportation.
En deuxième, il y a une pression sociale assez forte due à la demande de bien-être et de respect de l'animal par les consommateurs qui commencent a être informés, et cela est entré jusqu'à l'intérieur des abattoirs. Croyez moi, la filière y est sensible, et c'est en cela que les images et les enquêtes effectuées par la Protection Mondiale des Animaux de Ferme, où celles récemment de L214 sont d'une importance capitale pour faire avancer la cause des animaux en informant les consommateurs.
Quand la PMAF avait déjà montré il y a plusieurs années, des images de maltraitance des animaux d'abattoirs, moi sur le terrain j'ai du essuyer le mécontentement des professionnels de la viande. Je n'étais pour rien quant à l'existence de ces images. Les professionnels cherchaient des coupables, mais les coupables ne sont-ils pas du côté de ceux qui commettent les infractions et les maltraitances ou ceux qui les laissent faire ? Cependant, je me faisais agresser verbalement. Alors, je leur répondais, en prenant sur moi : « d'accord, vous n'aimez pas la méthode médiatique, vous préférez celle employée par l'association pour laquelle je travaille, mais moi, comme images sur le terrain et en France, j'ai vu pire, alors je ne vois pas en quoi c'est choquant de montrer la réalité ».
Maintenant selon moi, trop d'animaux vont à l'abattoir, je crois environ trois millions en France par jour. Ils ne méritent pas cela, même si les règles législatives en matière d'abattage peuvent être respectées. Etant donné les souffrances animales que j'ai rencontrées dans les abattoirs, même si un abattage peut se dérouler conformément, pour moi, il m'est impensable de laisser aller à la mort des animaux. Quand je vois les cochons qui sont les uns derrière les autres dans le couloir qui mène à la mort, on les fait avancer comme s'ils n'avaient pas d'identité, anonymes parmi les anonymes, tel un quartier de viande sur patte, je ne peux pas imaginer que cela soit respecter l'animal et que les animaux ont leur place dans les abattoirs.
L'homme a domestiqué des animaux pour sa propre nécessité. Mais, je pense que, si cela ne va pas l'encontre des besoins naturels des animaux, leur place est avec nous, pour vivre une relation d'amour, ça peut choquer, mais je parle de l'amour de son prochain, « Homme ou Animal », c'est là, une loi universelle. Mais en aucun cas, les animaux ne doivent être là pour nous, pour nos besoins, surtout pas pour les faire travailler, et encore moins pour les manger.
Mais, dans un premier temps, étant donné que la coutume culturelle de consommation carnée est si ancrée dans les pratiques quotidiennes, il est difficile de demander à tout le monde, dés aujourd'hui de manger moins de viandes ou de devenir végétarien. Surtout lorsqu'à la télévision on vous pousse à faire le contraire lors des publicités faisant la promotion de la viande. Les autorités nous ont bien dit de manger plus de fruits et de légumes, mais ils ont oublié de nous recommander de manger moins de viandes. Il est souhaitable d'arrêter l'existence des élevages intensifs et concentrationnaires, en développant les élevages dits respectueux de l'animal, faire en sorte que la réglementation en matière de transport et d'abattage soit strictement appliquée, et améliorée. Et enfin, il faudrait peut-être trouver d'autres moyens d'étourdissement ou d'anesthésie avant la mise à mort des animaux, qui seraient bien entendu applicables, sans restriction, à l'abattage rituel. Mais, si des consommateurs préféraient des maintenant manger moins de viande, ou directement devenir végétariens, ce qui serait honorable, cela ne pourrait qu'être bénéfique pour les animaux, leur évitant ainsi, des souffrances et une fin de vie programmée.
Cependant le consommateur est toujours prêt à pleurer sur la misère des animaux de boucherie, mais il semble incapable de pouvoir la soulager puisqu'il continue à manger le produit de cette misère qui est la viande. Par contre, il est probable qu'il se donne bonne conscience en adhérent à telle ou telle association de protection des animaux.
Vous ne verrez pas la réalité des abattoirs filmée par des journalistes officiels. Les responsables refusent lorsque des journalistes demandent à filmer les scènes de mise à mort. C'est trop choquant pour le grand public, il y a le risque d'une remise en question sur l'aspect culturel de la consommation carnée. A la suite des images que la PMAF avait montrées concernant de la maltraitance sur les marchés aux bestiaux, un responsable m'avait dit qu'une équipe de télévision était venue filmer pour faire un reportage, mais qu'elle s'était fait recevoir à coup de bâton. Les responsables des abattoirs et des marchés disent ne pas aimer les journalistes parce qu'ils ne seraient pas sincères dans leur démarche de reportages, mais pourquoi les portes sont-elles si bien fermées, et qu'ont-il à cacher ?
Florence Burgat, Docteur en philosophie, dans un ouvrage intitulé « l'Animal dans les pratiques de consommation », explique bien comment petit à petit depuis le moyen âge on a éloigné des centres villes ou relégués les abattages d'animaux dans des endroits excentrés, à cause de la salubrité, à cause du sang, des odeurs, et du spectacle donné en public. Par la suite on a créé ce qui devenait des abattoirs pour cacher de la vue des passants les atrocités des abattages en plein air. Les bouchers tuaient dans la rue, devant leurs étals de magasin destinés à la vente des viandes (comme cela se fait encore en Chine pour l'abattage des chiens). Outre l'aspect de salubrité public, l'assommage, les égorgements, et les cris des animaux présentaient un spectacle dont le passant risquait d'être habitué à une certaine violence, qu'il pourrait être amené à reproduire sur l'humain sans état d'âme. Les autorités ont donc tenté de reléguer dans des lieux particuliers les abattages d'animaux dits de boucherie. Et rassurez-vous, aujourd'hui tout est fait pour que des images filmées ne parviennent pas aux yeux du grand public, et même s'il s'agissait de montrer un abattage conformément réalisé.
Pour terminer avec un espoir, et une grande leçon d'humanité, dans le cadre de mes activités sociales Abdel, un handicapé mental « simple d'esprit » qui travaille sous ma responsabilité en Espace Vert, alors qu'il ne connaissait rien de mes activités de protecteur des animaux, m'a demandé un jour : « hein, Jean-Luc, c'est vrai que dans les abattoirs ils tuent les animaux ? ». Je lui ai répondu : « ben oui, c'est vrai ». Il m'a dit alors : « ah, tu vois, c'est pour cela, moi, je ne mange pas de viande ! ah, non, s'ils font cela aux animaux, moi je n'en mange pas !».
Rendez-vous compte, s'il était tombé sur le chef de service d'une association d'un Centre Educatif Renforcé pour des jeunes délinquants qui passent leurs journée aux travaux de la ferme, et qui m'a dit un jour : « il faut apprendre aux jeunes qu'une vache ça sert à faire des steaks ! ». C'est là une vison très limitée de ce que peut apporter un animal à un être humain. Je constate là un intervenant du social qui a une vision carencée de l'animal et de ce que peut ressentir un être humain lors de liens forts dans une relation « Homme - Animal ». Il n'a pas compris qu'une vache peut apporter plus qu'un morceau de viande. S'occuper d'animaux dans le milieu médico-social par des personnes handicapées ou en difficultés, permet de développer un état de bien-être physique, mentale et social par la relation qui peut se mettre en place entre les individus. Tout simplement parce qu'un animal est un être sensible, et là où il y a de la sensibilité, il y a de la vie.
En ce qui me concerne, sans jeter la pierre aux personnes qui pensent ne pas pouvoir se passer des produits carnés, comme Gil Raconis le cascadeur, et comme Abdel le soit-disant simple d'esprit, j'ai choisi de prendre le sage chemin qui est celui d'aimer les animaux vivants.