«L'animal dans la philosophie millénaire de l'Inde et la contradiction avec l'Inde moderne»

Vendredi 21 août matin

Par Joëlle Verdier

Joëlle Verdier est conférencière et traductrice de livres sur la philosophie de l'Inde. Elle est végétarienne depuis 40 ans, vegane et militante pour les droits des animaux depuis 3 ans avec de nombreuses associations aux Etats-Unis dont PETA, et en France avec le CLAM, L214, CAV, AVF, DDA.

Résumé de l'intervention

Dans les civilisations judéo-chrétiennes de l'Occident, utiliser, maltraiter, torturer, massacrer l'animal et lui nier toute conscience a été de tout temps la norme établie.

De nombreuses autres civilisations anciennes, comme celle des indiens d'Amérique du Nord, utilisaient l'animal tout en respectant son individualité, sa conscience et sa liberté.

Seules les antiques civilisations fondées sur les philosophies hindouistes et bouddhistes originelles ont reconnu à l'animal un statut d'être conscient existant pour lui-même et non pour l'humain. Mais il y a dans le bouddhisme et l'hindouisme de très nombreuses écoles de pensées différentes, allant du végétarisme et de l'interdiction de maltraitance et d'exploitation animale sous toutes ses formes à des degrés divers d'exploitation.

Bien que l'Inde compte encore actuellement 600 millions de végétariens (la plus forte densité au monde), l'influence occidentale y est si puissante que ce nombre ne fait que diminuer tandis que la maltraitance et le carnage ne font qu'augmenter, alors même que l'Occident commence à progresser sur la voie inverse.

Pourtant le fait qu'un pays entier majoritairement végétarien ait existé par le passé peut nous encourager dans notre vision d'un Occident qui abolirait l'esclavage animal comme il a abolit l'esclavage humain.

Compte-rendu

19 personnes

Dans les civilisations judéo-chrétiennes de l'Occident, utiliser, maltraiter, torturer, massacrer l'animal et lui nier toute conscience a été de tout temps la norme établie.

De nombreuses autres civilisations anciennes, comme celle des indiens d'Amérique du Nord, utilisaient l'animal tout en respectant son individualité, sa conscience et sa liberté. Seules les antiques civilisations fondées sur les philosophies hindouistes et bouddhistes originelles ont reconnu à l'animal un statut d'être conscient, doté d'une âme au même titre que l'être humain, existant pour lui-même et non pour le bienfait de l'humanité. Mais il y a dans le bouddhisme et l'hindouisme de très nombreuses écoles de pensées différentes, allant du végétarisme et de l'interdiction de maltraitance et d'exploitation animale sous toutes ses formes à des degrés divers d'exploitation. Bien que l'Inde compte encore actuellement 600 millions de végétariens (la plus forte densité au monde), l'influence occidentale y est si puissante que ce nombre ne fait que diminuer tandis que la maltraitance et le carnage ne font qu'augmenter, alors même que l'Occident commence à progresser sur la voie inverse. 


Pourtant le fait qu'un pays entier majoritairement végétarien ait existé par le passé peut nous encourager dans notre vision d'un Occident qui abolirait l'esclavage animal comme il a aboli l'esclavage humain.

Joëlle a fait des études ethnologiques à la Sorbonne (anciennes civilisations indiennes, américaines, africaines, shamanisme, taoïsme, bouddhisme, hindouisme…) et en Inde et a beaucoup voyagé. Elle a traduit des textes originaux de l'Inde et a pu lire les textes spirituels eux-mêmes, et non pas seulement leur interprétation.

L'Inde moderne connaît une grande variété ethnique, religieuse (hindouisme, islam, bouddhisme, christianisme) et philosophique (vishnouisme, vaïshnavisme ou Krishnaïsme, shivaïsme, shaktisme, jaïnisme, shankarisme, vedanta, védisme, mayavada, bouddhisme, parsi, sikhisme).

L'hindouisme est en fait un mot moderne créé lors de l'invasion musulmane des Moghols pour indiquer la civilisation « au-delà du fleuve Sindu », qui ne représente pas toujours l'Inde ancienne et parfois même la dénature.

L'Inde est le seul pays qui a inclus les animaux dans sa constitution. Humains et animaux sont considérés praja, citoyens, dont Prajapati est le père. Traditionnellement en Inde, avant le repas, on allait dans la rue appeler quiconque avait faim pour l'inviter à sa table. Les pauvres pouvaient aussi se nourrir dans les cultures d'autrui à condition de ne rien emporter après avoir assouvi leur faim. Les animaux bénéficiaient de la même compassion. Récemment encore, le soir dans leurs échoppes, des commerçants mettaient une assiette de grains pour les souris afin qu'elles ne grignotent pas leurs étoffes, plutôt que de les exterminer.

Les textes traditionnels ont commencé à être écrits il y a 5000 ans, début de l'âge de fer, mais ils datent en réalité de millions d'années parce que les humains des âges précédents (âges d'or, d'argent et de cuivre), beaucoup plus évolués, les mémorisaient et les transmettaient oralement.

Quelques citations indiennes :

- « L'homme qui consent à la mort d'un animal, celui qui le tue, celui qui le coupe en morceaux, celui qui achète la viande, la vend, celui qui la prépare, la sert et enfin celui qui la mange, sont tous regardés comme ayant pris part au meurtre. » Manu Smriti (Codes de lois de Manu)

- « La chair d'un animal est pareille à la chair de son propre fils et la personne stupide qui mange de la viande doit être considérée comme le plus vil des êtres humains. » Mahhabharata Anu Parva

Quelques citations bouddhistes ou taoïstes :

- « Le fait de manger de la viande détruit les semences de la compassion. » Mahaparinirvana Sutra (Texte sacré bouddhiste)

- « Tu ne tueras aucun être vivant et tu ne feras de mal à aucun… Tu ne consommeras ni la viande ni le sang d'aucun être vivant. » Taoïsme chinois

- « Tant que les humains feront souffrir les animaux, les êtres humains continueront à souffrir. » Dalaï Lama

A partir du XIXe siècle, quand les Anglais ont envahi l'Inde, la philosophie indienne a commencé à être connue de l'Occident et a soulevé l'enthousiasme de nombreux écrivains et philosophes : Edison, Victor Hugo, Schweitzer, Lamartine, Schopenhauer, Tolstoï, Emerson… Ils ont inclu des idées de l'Inde ancienne dans leurs propres écrits. La question du karma se retrouve dans certaines citations : « Tant qu'il y aura des abattoirs, il y aura des champs de bataille » (Tolstoï), « A moins de cesser de faire du mal aux animaux, nous sommes toujours des sauvages » (Edison), « Ce qui arrive aux bêtes arrive bientôt aux hommes » (Victor Hugo)… Les textes sacrés indiens utilisent le mot « meurtre » tant pour la mise à mort des animaux que des êtres humains. S'ils interdisent de tuer les animaux, ce n'est pas seulement, comme on le croit souvent, de peur de tuer un ancêtre réincarné en animal, mais aussi parce que, contrairement à la Bible, les textes traditionnels indiens considèrent que les animaux ont une âme et s'acheminent eux aussi vers la réalisation spirituelle à travers les réincarnations. Tout être vivant (animal et végétal) doit être respecté selon l'Ahimsa.

Pour cette raison, les peuples mangeurs de viande n'étaient pas considérés comme faisant partie de la société humaine, car l'humain est défini par le fait de ne pas manger les animaux.

- « Manger de la viande relève des plus sombres modes d'existence, engendrant ignorance et maladie. » Mahabharata

Si un humain tue un animal pour le manger, il doit s'excuser et reconnaître à l'animal le droit de le tuer en retour dans sa vie ultérieure.

Il existe une hiérarchisation : le plus bas niveau de réincarnation est la plante, le plus haut est l'humain.

Les trois animaux sacrés sont le singe, la vache et le lion parce que dans l'échelle de la réincarnation, ils sont ceux qui précèdent l'humain. Il ne faut pas tuer les animaux également car cela bloque leur évolution progressive au cours des réincarnations.

Les animaux sont tués dans les abattoirs par millions si bien que la seule façon dont les humains, en conséquence de leur karma, peuvent être tués en retour en aussi grand nombre, est à travers les épidémies et les guerres. Ils subissent ainsi la rétribution des massacres qu'ils ont commis.

Seul un groupe de personnes a l'autorisation de chasser et manger les animaux : les guerriers en temps de guerre. Ils peuvent également boire de l'alcool car la viande et l'alcool exacerbent l'agressivité. De nos jours par contre, la chasse est interdite (mais pratiquée, hélas).

Les Indiens ont une médecine traditionnelle très élaborée (Ayurveda) et furent les premiers chirurgiens, 6 siècles avant JC, s'exerçant sur des cadavres humains et non sur des animaux vivants.

La culture culinaire indienne allie traditionnellement le goût, la santé et l'écologie. Le concept social de base est « une vie simple et de haute pensée »

- « Ne confondons pas ce qui est naturel et ce qui est habituel. » « La terre produit suffisamment pour satisfaire le besoin de chaque humain mais pas suffisamment pour satisfaire la cupidité de chacun. »

- « La grandeur et l'évolution morale d'une nation peuvent se mesurer à la façon dont elle traite les animaux » « La vie d'un agneau n'est pas moins précieuse que celle d'un être humain » (Gandhi)

Dans la société indienne traditionnelle, il y avait un système de « symbiose », ou d'entr'aide, entre l'humain et la vache, mère de l'humanité et le taureau, père de l'humanité. Le lait des vaches est partagé entre veaux et humains : le veau n'est jamais tué ni enlevé à sa mère, il boit le lait à satiété et ensuite seulement le fermier prend l'excédent. Les bœufs tirent la tonga (char à bœufs) et la charrue mais ne sont pas maltraités et surexploités, au contraire aimés et respectés. L'Inde étant un pays en grande partie tropical manque de verts pâturages. Aussi les vaches errent-elles librement dans les villages. Lorsqu'une vache se présente à la porte de quelqu'un, on lui donne à manger : en effet, les animaux appartiennent à quelqu'un mais sont nourris par tout le monde et toute la communauté bénéficie de leur présence (la bouse de vache est utilisée comme combustible, comme engrais, comme matériau de construction et comme produit de nettoyage grâce à ses propriétés antiseptiques). Ce sont également des éboueurs naturels, (comme les cochons libres aussi de vagabonder) mangeant tous les détritus végétaux.

Les singes partagent aussi la vie des humains en vivant librement parmi eux. (Ils volent parfois des objets puis font des signes pour les échanger contre de la nourriture).

Malheureusement, l'Inde d'aujourd'hui abandonne de plus en plus ces coutumes. Beaucoup d'animaux sont maintenant maltraités et horriblement exploités comme en Occident.

Les États de religion vishnouite restent en grande majorité végétariens. Mais à cause de l'influence occidentale, (avec la multiplication des Mac Donald, par exemple), les indiens non vaïhsnavas se mettent à manger de plus en plus de viande. Il y a maintenant des élevages industriels un peu partout et des abattoirs légaux dans deux États du sud et de l'ouest, et sept États du nord-est.

Mais, souligne Joëlle Verdier, il est important de savoir que des sociétés humaines ont existé qui ont mis en pratique l'idée du respect des animaux dans une véritable vie en commun avec eux.