« Silences transgéniques ? Remarques sur l'éthique appliquée aux souris dans la pratique expérimentale »

Par Tora Holmberg, sociologue, chargée de recherche à l'Université d'Uppsala.

Intervention en anglais avec traduction immédiate.
Titre en anglais : « Transgenic silences? Some notes on mouse ethics in experimental practice ».

Résumé de l'intervention

L'un des thèmes les plus intéressants dans l'analyse d'un discours est ce qu'on passe sous silence. Je voudrais apporter un peu de lumière sur les silences concernant les souris transgéniques dans les discours sur les questions d'éthique et de bien-être animal. Sur ces silences transgéniques, j'aborde le dilemme qu'on pose rarement, ou même jamais – que ce soit dans les comités d'éthique animale ou dans les laboratoires –, celui de la souffrance engendrée par les modifications génétiques, des quantités d'animaux en surplus tués au long des expériences, et du comment et quand est-il justifié de pratiquer des modifications génétiques d'animaux. Les dilemmes techniques par contre, comme le pour et le contre des méthodes utilisées lors de l'élaboration du génotype des animaux transgéniques, sont toujours eux les grands sujets de discussions. Je vais donc maintenant exposer de quelle manière le fait que ces questions soient passées sous silence est important quant aux arguments que présentent les scientifiques, les techniciens manipulant les animaux et les membres des comités d'éthique animale pour justifier la recherche sur les animaux génétiquement modifiés. J'expliquerai aussi comment un tapage constructif sur le sujet qui peut être ajouté utilement aux débats.

Cet exposé est basé sur une étude, Le dilemme des animaux transgéniques, dans laquelle les notions de culture et de nature, de risque et de sécurité, d'innovation et d'organisme, de science et de technologie, d'humain et d'animal sont présentées en ce qui concerne la production, l'utilisation et l'évaluation éthique des animaux transgéniques dans le domaine scientifique. Cette recherche est basée sur des études de cas dans deux différents contextes : le laboratoire et le comité d'éthique animale.

Page web du projet Dilemmas with transgenic animals.

Diapositives

Les 24 diapositives de l'intervention sont disponibles en fichier Powerpoint et en pdf.

Compte-rendu

(26 personnes)

Tora Holmberg nous a d'abord présenté son parcours et le sujet sur lequel elle travaille. Dans le Centre pour la recherche sur le genre, un programme de recherche sur les transgressions des barrières entre la nature et la culture, un groupe animaliste s'est formé depuis quelques années (en 2008 ils étaient huit chercheurs dans différentes disciplines, qui ont des visions différentes sur les animaux et les droits des animaux en général) avec comme intérêt de faire des recherches sur la critique des relations entre les humains et les animaux, particulièrement dans le domaine... de la recherche. Ils ont édité un livre issu de conférences en pays nordiques : Enquête sur la relation humanimale.

Le travail de Tora Holmberg sur les animaux transgéniques a été amorcé il y a trois ans. Il y a eu peu de débats sur cette pratique qui se répandait. La Suède a des comités d'éthiques nécessaires à l'approbation de projets scientifiques et des gens pro-animaux, issus des organisations de droits des animaux ou de protection animale y sont nommés aux côtés des experts.

En Suède, les souris sont le modèle clé de la recherche transgénique. 40% de l'expérimentation animale se fait à l'aide de souris transgéniques. On peut commander des animaux transgéniques par correspondance (une souris créée pour la demande afin de servir de modèle à telle ou telle maladie), mais les les laboratoires d'université peuvent aussi créer leurs propres souris. Quand ce sont des nouvelles souches, la capacité de l'animal à survivre est inconnue (« incertitude sur le phénotype»). En général, il y a une surproduction énorme.

L'utilisation des animaux transgéniques dans la recherche est présentée d'un côté comme ordinaire, d'un côté comme unique. Ordinaire, parce que les scientifiques expliquent que les mutations sont naturelles : elles sont obtenues « naturellement » en ce qui concerne les animaux d'élevage qui ont été croisés afin de correspondre aux attentes des éleveurs et des consommateurs. Un autre argument est que la science ne fait qu'accélérer le processus de la nature, puisque les espèces sont soumises à des mutations au fil du temps (naturalisation de la technique). Ces références à l'histoire sont une manière de légitimer la pratique en rejetant la responsabilité humaine.

D'un autre côté, l'utilisation des animaux transgéniques apparaît comme quelque chose d'unique, d'extraordinaire, parce qu'elle représente un grand espoir pour les progrès médicaux, dans un état d'esprit qui ressemble en partie à un mythe chrétien.

Le silence sur l'utilisation des animaux transgéniques porte sur plusieurs points :
- les risques de souffrance dus au phénotypes imprévus, aux conditions d'élevage, au nombre d'individus, etc. ;
- les risques humains et technologiques ;
- l'instrumentalisation et l'objectification des animaux ;
- etc.

Les scientifiques qui travaillent avec les animaux disent travailler avec les animaux. En effet, ils les soignent, mais également doivent les comprendre pour communiquer avec eux. Travailler avec les animaux signifie alors les considérer comme du matériel qu'il faut manipuler mais n'empêche pas de développer une relation émotionnelle voire de l'empathie. Les pratiques de soin, dans le cadre de cette institution violente qu'est l'expérimentation animale, représentent un élément problématique, voire contradictoire. Tora Holmberg a illustré son propos avec une interview de chercheuse.

Elle a également abordé le sujet de la mise à mort des animaux de laboratoire. Le concept d'« euthanasie » véhicule l'idée d'une « bonne mort » non seulement pour la victime mais aussi pour le tueur. Ce « bien tuer » comprend trois composantes : des mesures pour soigner, des mesures de raffinement biologique et des mesures pour diviser le travail.

Elle a conclu son intervention en soulignant que les laboratoires ainsi que les abattoirs sont des institutions secrètes : les silences qui les entourent doivent être brisés pour qu'un débat public correct à leur sujet soit possible.

Les discussions qui ont eu lieu ensuite ont porté sur plusieurs points :
- les méthodes d'abattage dans les laboratoires ;
- l'aspect contradictoire de l'empathie du chercheur qui tue les animaux ;
- des précisions historiques sur l'intérêt du public concernant la vivisection ;
- des questions sur les alternatives à l'expérimentation animale.

Résumé en anglais

In discourse analysis one of the most interesting themes is silences. In this paper, I would like to shed some light on the silences present in discourses on ethical and welfare issues concerning transgenic mice. With transgenic silences I address dilemmas that seldom or never get articulated – neither in animal ethics committees nor in laboratories – concerning for example suffering due to the genetic modification, the many surplus animals that are killed in the process and how/when it is justified to genetically modify animals. Instead, rather technical dilemmas, like the pros and cons of methods used when genotyping transgenic animals, are constantly present in discussions. I will present how the silences become important for how scientists, animal technicians and members of animal ethics committees justify research on genetically modified animals and discuss how some constructive noise can be added to the debate.

This paper is based on a research project, Dilemmas with transgenic animals, in which notions of culture and nature, risk and safety, innovation and organism, science and technology, human and animal, are presented in the scientific production, use and ethical evaluation of transgenic animals. The project is built on case studies in two different contexts; the laboratory and the animal ethics committee.

Website of the project Dilemmas with transgenic animals.